Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/229

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tionnai sur sa position. La connaissance fut bientôt faite, et, comme il m’arrive d’ordinaire, avec cette sorte de gens, elle fut bientôt de l’intimité. Il me conta qu’il était en service chez une veuve, et qu’il en était fort bien traité. À tout ce qu’il sut m’en dire, et aux grands éloges qu’il en fit, je reconnus bientôt qu’il lui était dévoué de corps et d’âme. Elle n’était plus jeune, disait-il, elle avait eu à souffrir de son premier mari ; elle ne voulait plus du mariage, et son récit faisait si clairement paraître combien elle était belle, combien elle était ravissante, à ses yeux, combien il souhaitait qu’elle voulût bien le choisir, pour effacer le souvenir des torts de son premier mari, que je devrais tout redire, mot pour mot, pour te rendre parfaitement la pure inclination, l’amour et la fidélité de cet homme. Il me faudrait avoir le talent du plus grand poète pour te représenter, en même temps, d’une manière vivante, l’expression de ses gestes, l’harmonie de sa voix, le feu céleste de ses regards. Non, aucunes paroles ne peuvent exprimer la tendresse qui paraissait dans tout son être et son langage : tout ce que j’en pourrais dire serait sans grâce. J’étais particulièrement touché de voir comme il craignait qu’il ne me vînt d’injustes pensées sur ses relations avec elle, et des doutes sur la bonne conduite de la veuve. Le plaisir que je goûtais à l’entendre parler de sa figure, de sa beauté, qui, sans avoir le charme de la jeunesse, l’attirait victorieusement et l’enchaînait ; je ne puis que me le redire dans le fond du cœur. Je n’ai vu de ma vie le pressant désir, la passion ardente, unie à cette pureté ; oui, je puis le dire, je ne l’ai jamais imaginée et rêvée dans cette pureté. Ne me gronde pas, si je l’avoue qu’au souvenir de cette innocence et de cette candeur, je brûle d’une ardeur secrète ; que l’image de cette fidélité et de cette tendresse me poursuit partout, et que brûlé, pour ainsi dire, moi-même de ces feux, je languis et je me consume.

Je veux maintenant chercher à la voir sans tarder… ou plutôt, en y songeant bien, je veux l’éviter. Il vaut mieux que je la voie par les yeux de son amant : peut-être les miens ne la verraient-ils pas comme elle est maintenant devant moi ; et pourquoi me gâter cette belle image ?