Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/230

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16 juin.

Pourquoi je ne t’écris pas ?... Tu me le demandes, et pourtant tu es aussi un de nos savants ! Tu dois deviner que je me trouve bien et que…, en deux mots, j’ai fait une connaissance qui me touche au cœur. J’ai…. je ne sais….

Te conter de point en point comme il est arrivé que j’ai fait la connaissance de la plus aimable personne, ce sera difficile. Je suis heureux et content, et, par conséquent, mauvais historien.

Un ange ! fi ! chacun le dit de la sienne, n’est-il pas vrai ? Et pourtant je ne suis pas en état de te dire comment elle est parfaite, pourquoi elle est parfaite : bref, elle a captivé tout mon être.

Tant de simplicité avec tant d’esprit, tant de bonté avec tant de fermeté, et le repos de l’âme avec la vie et l’activité véritable !…

Tout cela n’est que sot bavardage, misérables abstractions, qui n’expriment pas un seul de ses traits. Une autre fois…. non, pas une autre fois, à l’instant même, je veux te le raconter. Ou maintenant ou jamais. Car, entre nous, depuis que j’ai commencé ma lettre, j’ai été déjà trois fois sur le point de poser la plume, de faire seller mon cheval et de courir. Et pourtant je me suis juré, ce matin, que je n’irais pas ; n’importe, je vais sans cesse à la fenêtre, voir à quelle hauteur le soleil est encore.

Je n’ai pu résister, il a fallu me rendre chez elle. Me voilà de retour. Wilhelm, je soupe de ma beurrée, et je t’écris.

Si je continue de la sorte, tu n’en sauras pas plus à la fin qu’au commencement. Écoute donc : je me fais violence, pour en venir aux détails.

Je t’écrivis dernièrement que j’avais fait la connaissance du bailli S… et qu’il m’avait invité à l’aller voir bientôt dans son ermitage, ou plutôt dans son petit royaume. Je négligeai la chose, et n’y serais peut-être jamais allé, si le hasard ne m’avait découvert le trésor caché dans ce paisible séjour.