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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/247

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les dames étaient en voiture, et, pendant notre promenade, je crus voir, dans les yeux noirs de Charlotte…. Je suie un fou, pardonne-moi ! Il te faudrait les voir, ces yeux !… Pour abréger (car les miens se ferment de sommeil) : écoute, les dames montèrent en voiture ; nous étions alentour, le jeune W., Selstadt, Audran et moi. On babillait par la portière avec ces jeunes étourdis, qui étaient certes assez évaporés et frivoles…. Je cherchais les yeux de Charlotte : hélas ! ils allaient de l’un à l’autre ; mais moi, qui étais là tout seul, absorbé en elle, ils ne me rencontrèrent pas !… Mon cœur lui dit adieu mille fois, mais elle ne me vit pas. La voiture partit, et une larme mouilla ma paupière…. Je la suivis des yeux ; je vis Charlotte pencher la tête hors de la portière ; elle se retourna pour voir…. Hélas ! était-ce moi ?… Mon ami, je flotte dans cette incertitude : c’est ma consolation. Peut-être s’est-elle retournée pour me voir ; peut-être…. Bonne nuit. Oh ! que je suis enfant !

10 juillet.

Il te faudrait voir la sotte figure que je fais, quand on parle d’elle dans une compagnie, quand on me demande même si elle me plaît…. Me plaire !… Je hais cette expression à la mort. Que doit être un homme auquel Charlotte plaît, un homme dont elle ne remplirait pas la pensée, le cœur tout entier ? Plaire ! Quelqu’un me demandait l’autre jour si Ossian me plaisait.

11 juillet.

Mme M. est fort mal. Je prie Dieu pour sa vie, parce que je souffre avec Charlotte. Je la vois rarement chez mon amie, et aujourd’hui elle m’a conté une singulière histoire…. Le vieux M. est un sordide et méchant avare, qui a tourmenté et tenu de fort près sa femme durant sa vie ; cependant elle a su constamment se tirer d’affaire. Il y a peu de jours, quand le médecin