Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/248

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l’eut condamnée, elle fit appeler son mari (Charlotte était dans la chambre), et lui parla en ces termes : « Je dois t’avouer une chose, qui, après ma mort, pourrait causer du trouble et du chagrin. J’ai gouverné, jusqu’à ce jour, le ménage avec tout l’ordre et toute l’économie possible ; mais tu me pardonneras de t’avoir trompé pendant ces trente ans. Au commencement de notre mariage, tu fixas une somme très-modique pour la table et les autres dépenses de la maison. Lorsque notre ménage s’agrandit, que nos affaires s’étendirent, tu ne voulus jamais augmenter ma semaine à proportion : bref, tu sais que, dans le temps où notre maison fut le plus considérable, tu m’obligeas de pourvoir à tout avec sept florins par semaine…. Je les ai acceptés sans contestation, et j’ai pris, chaque semaine, l’excédant sur nos recettes, nul ne soupçonnant la maîtresse de la maison de voler la caisse. Je n’ai rien prodigué, et, même sans faire cet aveu, je serais entrée avec confiance dans l’éternité ; mais celle qui devra tenir le ménage après moi ne saurait se tirer d’affaire, et tu aurais pu soutenir qu’avec cette somme ta première femme faisait face à la dépense. »

Je m’entretins avec Charlotte de l’incroyable aveuglement d’esprit d’un homme qui ne soupçonne pas quelque secret mystère, lorsqu’on peut suffire avec sept florins à une dépense que l’on voit monter au double. Mais j’ai connu même des gens .qui auraient reçu sans étonnement dans leur maison l’inépuisable cruche d’huile du prophète.

13 juillet.

Non, je ne me trompe pas ; je lis dans ses yeux noirs un véritable intérêt pour ma personne et pour mon sort. Je le sens, et, là-dessus, j’ose me fier à mon cœur, elle…. Oh ! pourrai-je, oserai-je exprimer en ces mots le bonheur céleste ?… Je sens que je suis aimé.

Je suis aimé !… Et combien je me deviens cher à moi-même, combien…. J’ose te le dire, tu sauras me comprendre. Combien je suis relevé à mes propres yeux.depuis que j’ai son amour !….

Est-ce de la présomption ou le sentiment de ce que nous