Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

champ, qui couvrait de sa large plaine le dos de la colline. Elle cheminait toujours sur ses terres, et Contemplait avec joie sa moisson et les blés qui s’inclinaient avec grâce, et balançaient dans tout le champ leurs épis d’or. Entre les guérets, elle suivait le sentier du sillon, voyant devant elle le grand poirier, qui s’élevait sur la colline, à la limite des champs qui leur appartenaient. Qui l’avait planté, on ne le savait pas. Il se voyait de loin dans la contrée, et ses fruits étaient renommés. Les faucheurs avaient coutume de prendre à midi leur repas à l’abri de ses rameaux, et les bergers, de garder le bétail sous son ombre ; ils y trouvaient des bancs de pierres brutes et de gazon. l^ Et la mère ne s’abusait pas : son Hermann était assis et se repo

sait dans ce lieu ; il était assis, la tête appuyée sur sa main ; il • semblait contempler le pays au delà, du côté des montagnes ; il tournait le dos à sa mère. Etle avança sans bruit et lui frappa doucement sur l’épaule. Il se retourna vivement : elle vit des larmes dans ses yeux.

  • Mère, dit-il avec saisissement, vous me surprenez. »

Et le jeune homme au noble cœur se hâta d’essuyer ses larmes.

« Eh quoi ? tu pleures, mon fils ! reprit la mère étonnée. Je ne te reconnais plus : je n’ai jamais vu cela. Dis-moi quel chagrin te presse, ce qui te porte à venir t’asseoir solitaire sous le poirier, ce qui cause tes larmes. »

Le bon jeune homme se recueillit et dit :

  • En vérité, il faudrait être sans cœur, avoir une poitrine d’airain, pour ne pas être sensible à la misère de ces fugitifs. Il est sans jugement celui qui, dans le temps où nous vivons, ne s’inquiète pas de son propre salut et du salut de la patrie. Ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu aujourd’hui m’a remué le cœur. Et maintenant je suissorti.etj’aicontempléces magnifiques et vas tes campagnes, qui se déroulent devant nous en fertiles collines ; je voyais les épis d’or se balancer en attendant le jour do la moisson, et les riches vergers promettre de remplir nos fruitiers. Mais, hélas ! que l’ennemi est proche ! Les flots du Rhin nous protègent, il est vrai : eh ! que sont les flots et les montagnes contre ce peuple terrible, qui s’approche comme une tempête ? Car il appelle de toutes les provinces la jeunesse, comme l’âge