Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/279

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conserver. Oh ! je deviendrais fou, si elle pouvait oublier..’.. Albert, il y a dans cette idée un enfer. Albert, adieu ! Adieu ange du ciel ! Adieu, Charlotte !

15 mars.

J’ai essuyé une mortification qui me chassera d’ici. Je grince les dents. Diable ! la chose ne pourra s’arranger, et c’est vous pourtant qui êtes cause de tout, vous qui m’avez aiguillonné, tourmenté, pressé de prendre un emploi qui n’était pas à mon gré. J’ai mon affaire à présent et vous avez la vôtre ! Et, afin que tu ne dises pas que mes idées exaltées font tout le mal, voici, mon cher, un récit pur et simple, comme le tracerait un chroniqueur.

Le comte de C…. m’aime, il me distingue : c’est une chose connue, je te l’ai déjà dit cent fois. Je dînais hier chez lui : c’était justement le jour où la noble société, hommes et femmes, se réunit le soir dans sa maison. Je n’y avais pas songé, et il ne m’était jamais venu à l’esprit que, nous autres subalternes, nous ne sommes pas là à notre place. Bien. Je dîne, et, après dîner, nous nous promenons de long en large dans le grand salon ; je cause avec le comte, avec le colonel B…, qui survient, et ainsi arrive l’heure de la réunion. Dieu sait si je pense à rien ! Arrive la très-noble dame de S…. avec monsieur son époux et leur oison de fille, à la gorge plate, au joli corsage ; ils prennent * en passant1 » leur air dédaigneux, et, comme j’ai pour cette engeance une profonde antipathie, j’allais prendre congé, et n’attendais que le moment où le comte.serait délivré de leur ennuyeux bavardage, quand je vis entrer ma chère demoiselle B…. Comme le cœur me bat toujours un peu quand je la vois, je restai, je me plaçai derrière sa chaise, et il me fallut quelque temps pour observer qu’elle me parlait avec moins d’abandon qu’à l’ordinaire, avec un peu d’embarras. Cela me surprit. « Est-elle aussi comme tout ce monde ? » dis-je en moimême. J’étais piqué et je voulais partir, et pourtant je restai, car


1. Ces mots sont en français dans l’original.