Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/280

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j’aurais voulu l’excuser ; je ne pouvais le croire, et j’espérais encore qu’elle m’adresserait quelque parole obligeante, et…. Que veux-tu ? Dans l’intervalle, le salon se remplit. Le baron P…, avec toute la garde-robe du temps où l’on couronna François Ier 1 ; le conseiller aulique R…, mais annoncé ici in qualitate de M. de R…, avec sa sourde moitié, etc. ; il ne faut pas oublier J…, le mal vêtu, qui remplit les lacunes de sa toilette gothique avec des lambeaux à la nouvelle mode. Cela devient une foule, et je parle avec quelques personnes de ma connaissance, qui sont toutes fort laconiques. Je ne pensais et ne prenais garde qu’à ma chère B… ; je ne remarquais pas que les femmes se parlaient à l’oreille au bout de la salle ; qu’il se passait quelque chose parmi les hommes ; que Mme de S…. s’entretenait avec le comte. C’est Mlle B…. qui m’a tout rapporté depuis. Enfin le comte vint à moi, et me prit à part dans l’embrasure d’une fenêtre. « Vous connaissez, dit-il, nos coutumes bizarres : je m’aperçois que la société est mécontente de vous voir ici. Je ne voudrais pas pour tout au monde…. — Excellence, lui dis-je en l’interrompant, je vous fais mille excuses. Je devais y songer plus tôt, et je sais que vous me pardonnerez cette inconséquence. J’ai déjà voulu prendre congé de vous : un mauvais génie m’a retenu, » ajoutai-je en souriant et lui faisant la révérence. Le comte me serra les mains, avec un sentiment qui disait tout. Je me glissai doucement hors de la noble assemblée ; je me jetai dans un cabriolet, et me fis conduire à M…, pourvoir, de la colline, le coucher du soleil, et lire, dans mon Homère, le chant magnifique où l’on voit comme Ulysse est hébergé par le fidèle gardien des pourceaux. Tout cela était à merveille !

Le soir, je reviens souper à l’hôtel : il n’y avait encore que peu de gens dans la salle ; ils jouaient aux dés sur un coin de la table, dont ils avaient relevé la nappe. Arrive l’estimable A… ; il pose son chapeau, tout en me regardant ; il vient à moi et me dit à voix basse : « Tu as eu un désagrément ? — Moi ? dis-je. — Le comte t’a fait sortir de son assemblée. — Au diable soit-elle ! m’écriai-je. J’étais bien aise de respirer le grand air. — Tant mieux, dit-il, que tu prennes la chose légèrement. Je suis fâché


1. Empereur d’Allemagne en 1745.