Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/315

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Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle était fermeroent résolue à tout faire pour éloigner Werther, et, si elle hésitait, c’était l’effet d’un ménagement tendre et bienveillant, parce qu’elle savait combien la chose coûterait à son ami, et même qu’elle lui serait presque impossible. Cependant elle se sentait plus vivement pressée d’agir sérieusement ; son mari gardait sur cette liaison le silence absolu qu’elle-même avait toujours observé ; elle en souhaitait davantage de lui prouver en ’effet qu’elle avait des sentiments dignes des siens.

Le jour morne où Werther écrivit à son ami la lettre que nous venons de rapporter (c’était le dimanche avant Noël), il se rendit le soir auprès de Charlotte et la trouva seule. Elle était occupée à mettre en ordre quelques jouets, qu’elle avait destinés pour étrennes à ses petits frères et ses petites sœurs. Il parla du plaisir que les enfants allaient goûter, et du temps où l’ouverture soudaine d’une porte et l’apparition d’un arbre1 décoré de bougies, de bonbons et de pommes, faisaient éclater les joies du paradis.

« Vous aussi, dit Charlotte, en cachant son embarras sous un gracieux sourire, vous aurez votre cadeau, si vous êtes bien sage : une petite bougie et quelque chose encore.

— Et qu’appelez-vous être sage ? s’écria-t-il : comment dois-je l’être ? comment puis-je l’être, bonne Charlotte ?

— Jeudi soir, dit-elle, est la veille de Noël ; les enfants viendront, mon père viendra, chacun recevra son cadeau : venez aussi…. mais pas auparavant. »

Werther fut interdit.

« Je vous en prie, poursuivit-elle, c’est comme cela ; je vous en prie pour mon repos : cela ne peut, non, cela’ne peut rester ainsi….»

Elle détournait les yeux, allait et venait dans la chambre et murmurait tout bas :

« Cela ne peut rester ainsi. »


1. L’arbre de Noël, qui, originaire d’Allemagne, commence à s’acclimater en France. C’est un petit sapin, coupé par le pied et fixé sur une base. On l’éclaire de nombreuses bougies, et l’on suspend à ses branches des bonbons et des cadeaux de toute sorte. Charlotte, qui sentait dans quel horrible état ces paroles