Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/316

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avaient jeté Werther, chercha par diverses questions à détourner ses pensées, mais ce fut inutile. . « Non, Charlotte, s’écria-t-il, je ne vous reverrai plus.

— Pourquoi cela ? reprit-elle ; Werther, vous pouvez, vous devez nous revoir : seulement, modérez-vous. Oh ! pourquoi le ciel vous a-t-il fait naître avec cette violence, cette passion irrésistible, obstinée ; pour tout ce qui vous attache une fois ! Je vous en prie, poursuivit-elle, en le prenant par la main, modérezvous ! Votre esprit, vos connaissances, vos talents, quelles jouissances diverses ne vous offrent-ils pas ? Soyez un homme ; renoncez à ce malheureux attachement pour une personne qui ne peut rien que vous plaindre. »

Il grinçait les dents et regardait Charlotte d’un air sombre. Elle le tenait par la main.

« Un moment de sang-froid, Werther, lui dit-elle ; ne sentezvous pas que vous vous trompez, que vous courez volontairement à votre perte ? Pourquoi donc moi, Werther, justement moi, qui appartiens à un autre ? pourquoi cela justement ? Je le crains, je le crains, c’est l’impossibilité de me posséder, qui seule irrite votre désir. »

II dégagea sa main, en regardant Charlotte d’un œil fixe et mécontent.

« Sage, très-sage pensée ! dit-il. Est-ce Albert peut-être qui a fait cette observation ? Elle est profonde, très-profonde !

— Chacun peut la faire, reprit-elle. Eh quoi ! ne se trouvera-t-il dans le monde entier aucune femme qui puisse remplir les vœux de votre cœur ? Prenez cela sur vous, cherchez, et,’je vous le jure, vous trouverez. Car depuis longtemps je m’afflige pour vous et pour nous de l’isolement dans lequel vous vous êtes vous-même confiné. Prenez cela sur vous. Un voyage ne peut manquer de vous distraire. Cherchez, trouvez un digne objet de votre amour, et revenez, et jouissons ensemble des douceurs d’une amitié véritable.

— On pourrait imprimer cela, dit-il avec un froid sourire, et le recommander à tous les gouverneurs. Bonne Charlotte, laissez-moi prendre encore un peu de repos. Tout s’arrangera.

— Mais, je vous en prie, Werther, ne revenez pas avant la veille de Noël. »