Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/318

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glacée, j’eus de la peine à gagner ma chambre ; hors de moi, je tombai à genoux, ô Dieu, et tu m’accordas le suprême soulagement des larmes les plus amères ! Mille projets, mille perspectives se combattaient dans mon âme, et à la fin elle y demeura, immuable, entière, l’unique, la dernière pensée : « Je * veux mourir !…» Je me suis couché, et, ce matin, dans le calme du réveil, elle est encore arrêtée, encore tout affermie dans mon cœur. « Je veux mourir !… » Ce n’est point désespoir, mais certitude que j’ai achevé de porter mon fardeau, et que je me sacrifie pour toi. Oui, Charlotte, pourquoi devrais-je le taire ? Il faut que l’un de nous trois s’en aille, et, je le veux, ce sera moi. 0 ma chère, dans ce cœur déchiré s’est glissée souvent la furieuse pensée…. de tuer ton mari !… toi !… moi !… C’est résolu…. Quand tu monteras sur la colline par un beau soir d’été, souviens-toi de moi ; rappelle-toi comme je montai souvent cette vallée ; porte ensuite tes regards vers le cimetière, vers ma tombe ; vois comme le vent balance les hautes herbes aux rayons du soleil qui décline…. J’étais tranquille quand j’ai commencé, et voilà, voilà que je pleure comme un enfant, à voir tout cela plein de vie autour de moi, »

Sur les dix heures, Werther appela son domestique, et, pendant qu’il se faisait habiller, il lui dit qu’il partirait dans quelques jours ; qu’il fallait donc nettoyer les habits, et préparer tout pour faire les malles ; il lui donna aussi l’ordre de demander partout les notes à payer, de retirer quelques livres prêtés, et de compter deux mois d’avance à quelques pauvres, auxquels il avait coutume de donner une aumône chaque semaine.

Il se lit apporter à manger dans sa chambre, et, après dîner, il se rendit à cheval chez le bailli, qu’il ne trouva pas à la maison. Il se promena au jardin, plongé dans la rêverie, et semblait vouloir amasser encore une fois dans son cœur toute la mélancolie des souvenirs.

Les enfants ne le laissèrent pas longtemps en repos ; ils le poursuivirent, grimpèrent sur lui, lui dirent comment, après un jour et encore un jour et encore un autre, ils iraient chez la sœur Charlotte recevoir les présents de Noël, et débitèrent les merveilles que se promettait leur imagination enfantine.