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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/317

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Il allait répondre, lorsque Albert entra : ils se saluèrent l’un l’autre d’une manière glaciale, et se promenèrent de long en large dans la chambre, avec une contenance embarrassée. Werther commença un discours insignifiant, qu’il eut bientôt fini ; Albert fit de même, puis il demanda à sa femme où en étaient certaines commissions, et, apprenant qu’elles n’étaient pas faites encore, il lui dit quelques mots, que Werther trouva froids et même durs. Il voulait s’en aller et ne pouvait pas, et tarda jusqu’à huit heures, son dépit et sa mauvaise humeur ne faisant que s’accroître : enfin, comme on vint mettre le couvert, il prit sa canne et son chapeau. Albert le pria de rester ; mais lui, qui ne voyait dans ces paroles qu’une politesse insignifiante, il remercia froidement et sortit.

Arrivé chez lui, il prit la lumière des mains de son domestique, qui voulait l’éclairer, et se retira seul dans son appartement. Il sanglotait, se parlait à lui-même avec véhémence, allait et venait dans sa chambre à grands pas, et finit par se jeter tout habillé sur son lit, où le domestique le trouva, lorsqu’il se permit d’entrer, vers onze heures, pour lui demander s’il ne devait pas le déboîter. Il le laissa faire, et lui défendit d’entrer dans sa chambre le lendemain avant d’être appelé.

Le lendemain matin, 21 décembre, il écrivit la lettre suivante, qu’après sa mort on trouva cachetée sur son secrétaire, et qui fut remise à Charlotte. Je la citerai par fragments, comme il paraît, par les circonstances, qu’elle fut écrite.

« C’est résolu, Charlotte, je veux mourir, et je te l’écris sans exaltation romanesque, tranquillement, le matin du jour où je te verrai pour la dernière fois. Quand tu liras ceci, mon amie, déjà la froide tombe couvrira la dépouille insensible de l’homme inquiet, infortuné, qui, pendant les derniers moments de sa vie, ne connaît pas de plus grande douceur que de s’entretenir avec toi. J’ai passé une horrible nuit, hélas ! une nuit bienfaisante ; c’est elle qui a fortifié, déterminé ma résolution. Je veux mourir. Hier, lorsque je me fus arraché de ta présence, dans l’affreuse révolte de mes sens ; que tout cela se pressait sur mon cœur, et que, désespéré, inconsolable, auprès de toi, je sentais avec horreur l’existence me saisir de son étreinte