Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/325

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« Quel homme s’avance appuyé sur son bâton ? Sa tête est blanchie par les années, ses yeux sont rouges de larmes…. C’est ton père, ô Morar ! ton père, qui n’eut point d’autre fils que toi. Il apprit ta vaillance dans le combat ; il apprit la défaite des ennemis ; il apprit la gloire de Morar : hélas ! ne sut-il rien de sa blessure ? Pleurez, père de Morar, pleurez…. mais votre fils ne vous entend pas. Il est profond, le sommeil des morts ; il est couché bien bas, leur oreiller de poussière. Jamais ton fils n’écoutera ta voix ; il ne s’éveillera plus à ton appel. Oh ! quand fera-t-il jour dans la tombe, pour crier à celui qui sommeille : « Réveille-toi ! »

« Adieu, ô le plus noble des hommes, invincible sur le champ de bataille ! Mais le champ de bataille ne te verra plus ; la foret sombre ne brillera plus des éclairs de ton glaive. Tu ne laisses aucun ’fils après toi, mais le chant du barde maintiendra ton nom, les âges futurs entendront parler de toi ; on leur dira le trépas de Morar.

« Elles furent bruyantes, les plaintes des héros ; ils éclatèrent surtout, les soupirs d’Armin, oppressé de douleur. Ce chant lui rappelait la mort de son fils, tombé dans les jours de la jeunesse. Cannor s’était assis près du héros, Carmor, le prince de Galmal aux échos sonores.

« Pourquoi, dit-il, éclatent les sanglots d’Armin ? Pourquoi pleurer ici ? La musique et le chant ne résonnent-ils pas pour attendrir l’âme et la réjouir ? Ils sont comme une vapeur légère, qui, montant du lac, se répand sur la vallée et baigne de rosée les fleurs épanouies : mais le soleil revient dans sa force et la vapeur s’exhale. Pourquoi es-tu si affligé, Armin, maître de Gorma que les flots environnent ?

— Affligé ! Je le suis, et la cause de ma douleur n’est pas légère. Carmor, tu n’as point perdu de fils, tu n’as point perdu de fille florissante : le vaillant Colgar est vivant ; elle est vivante, Arnira, la plus belle des vierges. Les rameaux de ta tige fleurissent, ô Carmor ; mais Armin est le dernier de sa race. Ta couche est ténébreuse, ô Daura ; il est profond ton sommeil dans la tombe…. Quand te réveilleras-tu avec tes chants, avec ta voix mélodieuse ? Levez-vous, vents d’automne, levez-vous, déchaînez-vous sur la bruyère sombre ! Torrents des bois, grondez ;