Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/327

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« Les vagues brisèrent la barque ; Armar s’élança dans la mer, pour sauver sa Daura ou mourir. Soudain un coup de vent fondit de la colline sur les flots : Armar fut englouti et ne revint pas de l’abîme.

« Mais j’entendais ma fille gémir sur le rocher battu des ondes ; ses cris répétés venaient jusqu’à moi, et son père ne pouvait la sauver. Toute la nuil je restai sur le rivage ; je la voyais aux faibles rayons de la lune ; toute la nuit j’entendis ses plaintes : le vent grondait, et la pluie s’élançait à flots impétueux vers la montagne. La voix de Daura s’affaiblit avant la naissance du jour ; elle s’exhala comme la brise du soir parmi les herbes des rochers. Accablée de douleur, elle mourut et laissa Armin désolé. Il n’est plus, celui qui était ma force dans la guerre ; elle est tombée, celle qui était mon orgueil parmi les vierges.

« Quand viennent les orages de la montagne, quand le nord soulève les flots, je m’assieds sur le rivage sonore, je regarde l’affreux rocher : souvent, dans les rayons de la lune penchante, je vois les ombres de mes enfants ; environnées d’une douteuse lumière, elles passent ensemble dans un triste concert. »

Un torrent de larmes, qui s’échappa des yeux de Charlotte, et soulagea son cœur oppressé, interrompit la lecture de Werther. Il jeta de côté le cahier, il prit la main de Charlotte, et versa des larmes amères. Elle appuyait sa tête sur son autre main, et couvrait ses yeux de son mouchoir. Leur émotion à tous deux était affreuse. Ils sentaient leur propre infortune dans la destinée de ces héros ; ils la sentaient ensemble, et leurs larmes s’unirent. Les lèvres et les yeux de Werther brûlaient le bras de Charlotte, un frissonnement la saisit ; elle voulut s’éloigner : la douleur et la pitié l’accablaient et la tenaient enchaînée. Elle exhala un soupir, essayant de se remettre, et pria Werther en sanglotant de continuer sa lecture. Elle le priait d’une voix toute céleste : il trembla, son cœur éclatait ; il prit le cahier, et lut, d’une voix entrecoupée :

« Pourquoi me réveilles-tu, souffle du printemps ? Tu me caresses, et tu dis : « Je baigne la terre de la rosée du ciel. « Mais il approche, le temps où je dois me flétrir ; elle approche, la tempête qui dévastera mon feuillage. Demain le voyageur