Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/70

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cupés à lui rendre ce pieux office : et toi aussi, mon fidèle Antiloque, elle te verra bientôt donner en gémissant la sépulture aux légers restes de ton ami. S’il en doit être ainsi, comme les dieux me l’ont déclaré, soit !… Occupons-nous de ce qui reste encore à faire. Il faut que, réuni avec mon ami Patrocle, je sois honoré d’un tertre majestueux, élevé sur le rivage de la mer, monument pour les peuples et les âges futurs. Déjà les robustes Myrmidons ont creusé diligemment un fossé alentour ; ils ont rejeté la terre en dedans, traçant comme un rempart protecteur contre les attaques de l’ennemi. Ils ont ainsi formé avec ardeur une enceinte au grand espace ; mais je veux voir le travail avancer. Je fais appeler promptement les troupes qui sont encore disposées à entasser la terre sur la terre. Peut-être ferai-je ainsi exécuter la moitié de l’ouvrage : à vous de l’achever, lorsque bientôt l’urne m’aura recueilli. »

Ainsi dit-il, et il se mit en marche ; il parcourut les tentes à la file, faisant signe à celui-ci, à celui-là, et appelant les autres ensemble. Aussitôt ils se levèrent tous et prirent les outils pesants, la pelle et la pioche, avec joie, en sorte que l’airain retentissait ; ils prirent aussi le pieu robuste, le levier à remuer les pierres. Et ils se mirent en marche, et sortirent du camp à flots pressés, montant la pente douce du sentier, et la multitude se hâtait en silence. Comme l’élite de l’armée, équipée de nuit pour une surprise, s’avance sans bruit, la troupe chemine d’un pied léger, chacun mesure ses pas, chacun retient son haleine, pour pénétrer dans la ville ennemie mal gardée : ainsi s’avançaient les Myrmidons, et l’ardeur silencieuse de tous les guerriers honorait ce grave ministère et l’affliction de leur chef.

Mais, aussitôt qu’ils furent parvenus sur le dos de la colline battue des flots, et que la vaste mer se déploya devant eux, l’aurore jeta sur eux un gracieux regard des vapeurs lointaines du matin sacré, et versa le rafraîchissement dans le cœur de chacun. Tous s’élancèrent soudain vers le fossé, ardents au travail. Ils divisèrent en glèbes le sol longtemps foulé. Ils le jetaient devant eux avec la pelle, ou bien ils le portaient en haut avec des corbeilles. On voyait les uns remplir de terre leur casque et leur bouclier ; aux autres, le bord du vêtement tenait lieu de vase.

Alors les Heures ouvrirent avec fracas les portes du ciel, et le