Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/77

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dont la course terrible s’avance vers le but suprême, tombe dans la poussière, est foulé sous les pieds des chevaux, écrasé par la roue de bronze du char sacré. Aussi je ne m’arrête point aux doutes que tu as élevés, pour calmer peut-être celle qui s’abandonne mollement à ses douleurs. Mais voici ce que je veux te dire, et garde ces paroles dans ton cœur. L’arbitraire est à jamais odieux aux immortels et aux hommes, quand il se montre dans les actions, et même quand il se manifeste dans les paroles seulement : car, si puissant que nous soyons, de tous les dieux immortels, Thémis est la plus immortelle ; elle doit subsister et dominer encore, lorsqu’un jour ton empire, si tard que ce puisse être, succombera sous la force supérieure, la force longtemps enchaînée des Titans. »

Le fils de Saturne répondit avec calme et sérénité :

« Tu parles sagement, tu n’agis pas de même, car c’est toujours une chose mauvaise, sur la terre comme dans le ciel, que l’associé du souverain se range parmi ses adversaires, soit dans les actes soit dans les paroles. La parole est le héraut des actions qui s’approchent. Voici donc l’avis que je te donne : s’il te plaît, déesse inquiète, de partager aujourd’hui même l’empire de Kronos et de régner là-bas, descends résolument, pour attendre le jour des Titans, qui, je le pense, est encore éloigné de la lumière éthérée. Mais, vous autres dieux, je vous le déclare, la destruction ne menace pas encore irrésistiblement les murailles de Troie. Courage donc ! Qui défend la ville défend Achille en même temps. Aux autres est réservé, ce me semble, un douloureux ouvrage, s’ils font périr le plus vaillant guerrier des Hellènes, qu’ils favorisent. »

À ces mots, Jupiter se leva de son trône, et se rendit dans ses appartements. Et, quittant leurs sièges, Latone et Thétis se retirèrent dans le fond des galeries, cherchant le triste plaisir d’un entretien solitaire, et aucun dieu ne les suivit. Alors l’auguste Junon, se tournant du côté de Mars, lui dit ces mots :

« Mon fils, quelle est maintenant ta pensée, à toi dont le caprice indompté favorise celui-ci et celui-là, et fait tourner tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre, la fortune changeante des armes redoutables ? Jamais le but n’occupe ta pensée, où qu’il soit fixé ; tu ne vois que la force soudaine et la fureur et la dé-