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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/106

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proposait à Wilhelm d’avancer de l’argent contre des garanties. Mais, à cette occasion, il s’avisa tout à coup qu’il n’aurait pas dû s’arrêter si longtemps en ce lieu ; il s’excusa et voulut se préparer à poursuivre son voyage.

Cependant la figure et le caractère de Mignon avaient toujours plus de charmes pour lui. Cette enfant avait, dans toutes ses actions, quelque chose d’étrange. Elle ne montait, ne descendait point les degrés ; elle les franchissait d’un bond ; elle courait sur les barrières des corridors, et, avant qu’on s’en fût avisé, elle s’asseyait sur l’armoire et demeurait quelques moments immobile. Wilhelm avait aussi remarqué qu’elle avait pour chaque personne une manière particulière de saluer. Depuis quelque temps, elle le saluait lui-même en croisant les bras sur sa poitrine. Souvent elle était complètement muette ; parfois elle répondait à différentes questions, toujours d’une manière bizarre, mais sans que l’on pût distinguer si c’étaient des saillies ou l’ignorance de la langue, car elle parlait un mauvais allemand, entremêlé de français et d’italien. Dans son service, elle était infatigable et levée avec le soleil ; mais, le soir, elle disparaissait de bonne heure, dormait, dans quelque chambre, sur le plancher, et l’on ne put lui faire accepter un lit ou une paillasse. Wilhelm la trouvait fréquemment occupée à se laver. Ses habits étaient propres, quoique souvent cousus et recousus. On lui dit aussi qu’elle allait tous les jours à la messe de grand matin : il la suivit une fois, et la vit s’agenouiller dans le coin de l’église avec son rosaire, et prier avec ferveur. Elle ne l’aperçut point. Il revint au logis en faisant mille conjectures sur cette enfant extraordinaire, et ne savait à quoi s’arrêter.

Les nouvelles prières de Mélina de lui prêter une somme d’argent, pour dégager le matériel de théâtre, décidèrent toujours plus Wilhelm à songer au départ. Il voulut écrire, le jour même, à sa famille, qui depuis longtemps n’avait pas eu de ses nouvelles. Il commença en effet une lettre à Werner, et déjà il avait passablement avancé le récit de ses aventures, dans lequel, sans y prendre garde, il s’était plusieurs fois éloigné de la vérité, lorsqu’en tournant la feuille, il eut le désagrément d’y trouver écrits quelques vers extraits de ses tablettes, dont