Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

faisant un beau bruit. Elles avaient projeté une nouvelle promenade : car le changement de lieux et d’objets était un plaisir après lequel elles soupiraient sans cesse. Dîner chaque jour dans un lieu nouveau était leur désir suprême : cette fois il s’agissait d’une promenade sur l’eau.

Le bateau dans lequel elles voulaient descendre le cours sinueux de l’agréable rivière était déjà prêt, par les soins du pédant. Philine fut pressante, la société n’hésita point, et l’on fut bientôt embarqué.

«  Qu’allons-nous faire ? dit Philine, quand tout le monde se fut placé sur les bancs.

— Le plus court, repartit Laërtes, serait d’improviser une pièce. Que chacun prenne le rôle qui convient le mieux à son caractère, et nous verrons comment cela nous réussira.

— A merveille ! dit Wilhelm, car, dans une société où l’on ne se déguise point, où chacun ne suit que son sentiment, la grâce et le plaisir ne demeurent pas longtemps, et, dans celle où l’on se déguise toujours, ils ne se montrent jamais. Il n’est donc pas mal à propos de nous permettre d’abord le déguisement, et d’être ensuite sous le masque aussi sincères qu’il nous plaira.

— Voilà, dit Laërtes, pourquoi l’on trouve tant de charme dans la société des femmes, qui ne se montrent jamais sous leur air naturel.

— C’est, repartit Mme Mélina, qu’elles sont moins vaines que les hommes, qui s’imaginent qu’ils sont toujours assez aimables, tels que la nature les a faits. »

On avait vogué entre des bocages et des collines agréables, des jardins et des vignobles ; les jeunes femmes, et surtout Mme Mélina, exprimaient leur enchantement à la vue de ce beau pays. Mme Mélina commença même à déclamer solennellement un charmant poëme descriptif, qui roulait sur une scène pareille ; mais Philine l’interrompit, et proposa une loi qui défendrait à chacun de parler d’un objet inanimé ; puis elle mit vivement à exécution le projet d’une comédie improvisée. Le vieux bourru serait un officier en retraite, Laërtes un maître d’armes sans emploi, le pédant un juif ; elle-même serait une Tyrolienne : elle laissa les autres personnes se choisir leurs rôles. On supposa que la société était composée de gens qui ne