Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/115

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s’étaient jamais vus, et qui venaient de se rencontrer dans le coche.

Philine commença aussitôt à jouer son rôle avec le juif, et cela répandit une gaieté générale.

On n’avait pas fait beaucoup de chemin, quand le batelier arrêta, pour recevoir, avec la permission de la société, un voyageur, qui était sur le bord et avait fait des signes.

«  C’est justement ce qu’il nous fallait ! s’écria Philine. Il manquait à la compagnie un passe-volant. »

On vit monter dans la barque un homme bien fait, qu’à son costume et à son air respectable, on pouvait prendre pour un ecclésiastique. Il salua la société, qui lui rendit son salut à sa manière, et le mit d’abord au fait de son amusement. Là-dessus il prit le rôle d’un pasteur de campagne, et le remplit de la manière la plus agréable, à la grande surprise de tout le monde ; tour à tour exhortant, racontant des histoires, laissant voir quelques côtés faibles, et sachant toutefois se faire respecter.

Quiconque était sorti, ne fût-ce qu’une fois, de son caractère, avait dû donner un gage. Philine les avait recueillis avec beaucoup de soin, et avait menacé particulièrement l’ecclésiastique de mille baisers, quand il faudrait retirer les gages, bien qu’il n’eût pas été pris en faute une seule fois. Mélina, au contraire, était absolument dépouillé ; boucles, boutons de chemises, tout ce qui pouvait se détacher de sa personne, avait passé dans les mains de Philine : il avait voulu représenter un voyageur anglais, et ne pouvait entrer dans son rôle.

Le temps s’était passé de la manière la plus agréable ; chacun avait mis en œuvre toutes les ressources de son imagination et de son esprit, et habillé son rôle de plaisanteries ingénieuses et divertissantes : on arriva de la sorte dans le lieu où l’on se proposait de passer la journée, et, en se promenant avec l’ecclésiastique (nous lui laisserons la qualité que son extérieur et son rôle lui avaient fait donner), Wilhelm eut avec lui une conversation intéressante.

«  Je trouve, dit l’inconnu, cet exercice fort utile entre comédiens, et même dans une société d’amis et de connaissances. C’est le meilleur moyen de faire sortir les hommes d’eux-mêmes et de les y ramener par un détour. Il faudrait introduire dans