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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/133

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— Nous sommes plus tranquilles ici, répondit Wilhelm. Chante-moi ce que tu voudras, ce qui convient à ta situation, et fais comme si je n’y étais pas. Il me semble que tu ne saurais te tromper aujourd’hui. Tu es bien heureux de pouvoir t’occuper et t’entretenir si doucement dans la solitude, et, puisque tu es partout étranger, de trouver dans ton cœur la plus agréable connaissance. »

Le vieillard jeta les yeux sur les cordes, et, après avoir doucement préludé, il chanta :

«  Qui s’abandonne à la retraite, hélas ! est bientôt seul ; chacun vit, chacun aime, et le laisse à sa souffrance. Oui, laissez-moi à ma peine ! Et, si je puis une fois être vraiment solitaire, alors je ne serai plus seul.

«  Un amant se glisse sans bruit, pour guetter si son amie est seule : ainsi pénètre, nuit et jour, dans ma solitude la peine, dans ma solitude l’angoisse. Ah ! qu’une fois je sois solitaire dans le tombeau, alors elle me laissera seul ! »

Il faudrait trop nous étendre, encore nous serait-il impossible d’exprimer le charme du singulier entretien que notre ami soutint avec le mystérieux étranger. À tout ce que disait le jeune homme, le vieillard répondait, avec la plus pure harmonie, par des accords qui éveillaient toutes les sensations voisines, et ouvraient à l’imagination une vaste carrière.

Quiconque assista jamais à une assemblée de ces personnes pieuses qui, séparées de l’Église, croient trouver une édification plus pure, plus intime et plus spirituelle, pourra se faire aussi une idée de la scène qui nous occupe. On se rappellera comme l’officiant sait adapter à ses paroles quelque vers d’un cantique, qui élève l’âme où l’orateur désire qu’elle prenne son vol ; comme, bientôt après, un membre de la communauté, ajoute, avec une autre mélodie, un vers d’un autre chant, et comme à celui-ci un troisième en associe un autre, si bien que les idées analogues des cantiques auxquels ces vers sont empruntés en sont éveillées, mais que chaque passage reçoit de la nouvelle combinaison un sens individuel et nouveau, que l’on dirait trouvé à l’instant même ; en sorte que, d’un cercle d’idées