du bout des lèvres, ce qu’il avait savouré autrefois à longs traits ; mais il ne pouvait voir clairement le besoin invincible dont la nature lui avait fait une loi, et que ce besoin, stimulé seulement par les circonstances, n’était satisfait qu’à demi et s’égarait loin du but.
Il ne faut donc pas s’étonner qu’en réfléchissant à sa situation, et en cherchant avec effort les moyens d’en sortir, il fût tombé dans la plus grande perplexité. Ce n’était pas assez que son amitié pour Laërtes, son inclination pour Philine, son attachement pour Mignon, l’enchaînassent, plus longtemps qu’il n’était convenable, dans une ville et dans une société au milieu de laquelle il pouvait se livrer à son goût favori, satisfaire ses désirs comme à la dérobée, et, sans se proposer un but, poursuivre furtivement ses anciens rêves : il croyait avoir assez de force pour s’arracher à ces liaisons et partir sur-le-champ ; mais il venait de s’engager avec Mélina dans une affaire d’argent ; il avait fait la connaissance du mystérieux vieillard, et il sentait un désir inexprimable de le pénétrer. Cependant, longtemps agité de pensées diverses, il était résolu, il le croyait du moins, à ne pas se laisser retenir même par ces nouveaux liens. « Il faut que je parte ! s’écriait-il, je veux partir ! » En disant ces mots, il se jeta sur un siège : il était fort ému.
Mignon entra et demanda si elle ne devait pas lui rouler les cheveux. Elle s’approchait sans bruit ; elle était fort affligée de ce qu’il l’avait renvoyée si brusquement ce jour-là.
Rien n’est plus touchant que de voir une affection qui se nourrit en silence, une fidélité qui se fortifie en secret, se produire enfin dans l’instant propice, et se manifester à celui qui jusqu’alors ne l’avait pas méritée. La jeune fleur, longtemps, étroitement fermée, allait s’épanouir, et le cœur de Wilhelm ne pouvait être plus ouvert à la sympathie.
Mignon était debout devant lui et voyait son trouble.
« Maître, s’écria-t-elle, si tu es malheureux, que deviendra Mignon ?
— Chère enfant, dit-il en lui prenant les mains, tu es aussi une de mes douleurs : il faut que je parte. »
Elle le regarda fixement ; elle vit briller dans ses yeux les larmes qu’il retenait ; elle tomba violemment à genoux devant lui.
Il tenait