Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/17

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«  Nous aurions dû attendre longtemps encore, et peut-être jusqu’au retour de Noël, si l’architecte et directeur secret de notre théâtre n’avait eu la fantaisie de répéter la représentation, et de produire, dans une petite pièce, un polichinelle qu’il venait d’achever.

«  Un jeune officier d’artillerie, plein de talents, habile surtout dans les ouvrages mécaniques, qui avait rendu à mon père beaucoup de services essentiels dans la construction de sa maison, et en avait été généreusement récompensé, voulut témoigner sa reconnaissance à la petite famille, le jour de Noël, et nous fit présent de ce théâtre tout monté, qu’il avait bâti, sculpté et colorié dans ses heures de loisir. C’était lui-même qui, avec le secours d’un domestique, faisait jouer les marionnettes, et, d’une voix déguisée, récitait les différents rôles. Il ne lui fut pas difficile de persuader notre père, qui accorda, par complaisance, à un ami, ce qu’il avait refusé, par principe, à ses enfants. Bref, le théâtre se dressa de nouveau ; on invita quelques enfants du voisinage, et la pièce eut une seconde représentation.

«  Si j’avais eu d’abord le plaisir de la surprise et de l’étonnement, je goûtai cette fois la grande jouissance de l’observation et de l’examen.

«  Comment cela se passe-t-il ? » C’était maintenant mon souci. Que les marionnettes ne parlassent point elles-mêmes, je me l’étais dit dès la première fois ; que leurs mouvements ne fussent point non plus spontanés, je le soupçonnais aussi. Mais pourquoi tout cela était-il si joli ? Et ne semblait-il pas que leurs discours et leurs gestes vinssent d’elles-mêmes ? Et les lumières et les gens, où pouvaient-ils être ? Ces énigmes m’inquiétaient d’autant plus que je désirais être à la fois parmi les enchantés et les enchanteurs, me mêler du jeu en cachette et goûter en même temps, comme spectateur, le plaisir de l’illusion.

«  La grande pièce était achevé, on faisait les préparatifs de la petite ; les spectateurs avaient quitté leurs siéges et jasaient entre eux. Je me glissai près de la porte, et j’entendis, dans l’intérieur, aux coups de marteau, qu’on était occupé à faire place. Je levai le bas du rideau, et je regardai du coin de l’œil à travers l’échafaudage. Ma mère s’en aperçut et me fit retirer : mais