Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/178

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le comte, s’il n’avait pas encore quelques anciennes poésies pareilles à celle-là, il sut répondre adroitement, d’une manière évasive. Le pédant arriva donc à la réputation de poëte et d’homme d’esprit ; mais les amis du baron ne virent dans le favori du comte qu’un libelliste et un méchant homme. Dès lors son Mécène l’applaudit toujours davantage, qu’il jouât bien ou mal son rôle, de façon que le pauvre homme finit par en être bouffi d’orgueil et presque fou, et là-dessus il songeait à demander, comme Philine, un logement au château.

S’il avait pu l’obtenir sans délai, il aurait évité un accident très-grave. Un soir qu’il revenait fort tard au vieux château, et qu’il marchait, en tâtonnant, dans le chemin étroit et sombre, il fut assailli tout à coup, saisi par quelques personnes, tandis que d’autres le rouaient de coups, et le maltraitèrent si fort, dans l’obscurité, qu’il en resta presque sur le carreau, et ne se traîna qu’avec peine chez ses camarades. Ceux-ci, tout en affectant une vive indignation, ressentirent de cet accident une secrète joie, et pouvaient à peine s’empêcher de rire en le voyant si bien étrillé, et son bel habit brun tout poudré et taché de blanc, comme s’il avait eu affaire à des meuniers.

Le comte, qui fut aussitôt informé de la chose, entra dans une furieuse colère. Il traita ce désordre comme le plus grand crime, le qualifia d’attentat contre la paix du château, et fit entreprendre par son bailli l’enquête la plus sévère. L’habit poudré de blanc devait servir de pièce probante. Quiconque dans le château avait affaire avec la poudre ou la farine fut cité à comparaître, mais ce fut sans résultat.

Le baron déclara sur l’honneur, qu’à la vérité la plaisanterie lui avait vivement déplu, et que le procédé de M. le comte n’avait pas été fort amical, mais qu’il avait su se mettre au-dessus de tout cela, et qu’il n’avait pas eu la moindre part à la mésaventure du poëte ou du libelliste, comme on voudrait le nommer.

L’affluence des étrangers, le mouvement du château, firent bientôt oublier toute l’affaire, et l’infortuné favori dut payer cher le plaisir d’avoir porté quelque temps un plumage étranger.

Les comédiens, qui jouaient régulièrement tous les soirs, et