Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/183

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asseoir dans le grand fauteuil, un livre à la main. Elle alluma elle-même la lampe, qui était devant lui, puis elle l’instruisit de ce qu’il avait à faire et du rôle qu’il avait à jouer.

«  On annoncera, dit-elle, à la comtesse l’arrivée imprévue de son mari et sa mauvaise humeur : elle viendra, elle fera quelques tours dans la chambre, ensuite elle s’appuiera sur le dossier du fauteuil, posera son bras sur votre épaule et dira quelques mots. Jouez votre rôle de mari aussi longtemps et aussi bien que vous pourrez ; mais, quand vous devrez enfin vous découvrir, soyez aimable et galant. »

Wilhelm était donc assis, fort inquiet, dans ce bizarre costume ; le projet l’avait surpris, et l’accomplissement avait devancé la réflexion. La baronne avait déjà quitté la chambre, lorsqu’il observa combien était dangereux le poste qu’il avait pris. Il ne se dissimulait pas que la beauté, la jeunesse, les grâces de la comtesse avaient fait impression sur lui ; mais, comme il était, par caractère, fort éloigné de toute vaine galanterie, et que ses principes ne lui permettaient pas de songer à une entreprise plus sérieuse, il ne se trouvait pas à ce moment dans un petit embarras. La crainte de déplaire à la comtesse, et celle de lui plaire plus qu’il n’était permis, se balançaient dans son cœur.

Tous les appas qui avaient jamais exercé sur lui leur empire se retraçaient à son imagination. Marianne lui apparut en blanche robe du matin, et réclamait tendrement son souvenir ; les grâces de Philine, ses beaux cheveux et ses manières caressantes l’avaient retrouvé plus sensible, depuis leur nouvelle entrevue : mais tout s’effaçait, comme dans un vague lointain, lorsqu’il se figurait la noble et brillante comtesse, dont il sentirait, dans quelques instants, le bras se poser sur son cou, et dont les innocentes caresses provoqueraient les siennes.

Assurément il ne soupçonnait pas l’étrange manière dont il devait sortir de cette perplexité. Quelle ne fut pas sa surprise, ou plutôt son effroi, lorsque la porte s’ouvrit derrière lui, et qu’au premier coup d’œil jeté furtivement dans le miroir, il reconnut le comte, qui entrait, un flambeau à la main ! Que devait-il faire, rester assis ou se lever, fuir, avouer, nier ou demander pardon ? Son anxiété ne dura que peu d’instants. Le