Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/204

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mit par là fort bien dans son esprit. Notre ami, qui, par sa libéralité, s’était acquis le droit d’agir avec ses compagnons à la manière du prince Harry, prit bientôt fantaisie d’inventer et d’encourager de folles équipées. On faisait des armes, on dansait, on imaginait toute sorte de jeux ; et, dans la joie du cœur, on buvait largement les vins passables qu’on trouvait sur la route ; Philine, au milieu de cette vie désordonnée, tendait ses pièges au héros dédaigneux, et puisse son bon génie veiller sur lui !

Un des amusements favoris de la troupe était d’improviser des pièces, dans lesquelles ils imitaient et tournaient en ridicule leurs anciens patrons et bienfaiteurs. Quelques-uns avaient fort bien observé les airs singuliers de certains grands personnages ; en les imitant, ils provoquaient chez leurs camarades les plus vifs applaudissements, et, quand Philine tirait des secrètes archives de son expérience quelques singulières déclarations d’amour, qu’on lui avait faites, les rires malins ne pouvaient plus finir.

Wilhelm blâmait leur ingratitude, mais ils répondaient qu’ils avaient bien gagné ce qu’ils avaient reçu au château, et qu’à tout prendre, on ne s’était pas comporté le mieux du monde envers des gens de leur mérite. Puis ils se plaignaient du peu d’estime qu’on leur avait témoigné, des humiliations qu’on leur avait fait souffrir. Les moqueries, les pasquinades, l’imitation, recommençaient, et l’on était toujours plus injuste et plus amer. Là-dessus Wilhelm leur disait :

«  Je voudrais que votre langage ne laissât paraître ni l’égoïsme ni l’envie ; je voudrais vous voir considérer sous leur vrai point de vue ces personnes et leur position. C’est une chose toute particulière d’occuper par sa naissance même une place élevée dans la société. L’homme à qui une richesse héréditaire assure une large et libre existence ; qui, dès son jeune âge, se trouve, si j’ose ainsi dire, environné de tous les accessoires de la vie, s’accoutume, le plus souvent, à considérer ces avantages comme les premiers et les plus grands, et le mérite d’une personne bien douée par la nature le frappe moins vivement. La conduite des grands envers les petits et aussi des grands entre eux est mesurée sur les avantages extérieurs ; ils permettent à chacun de faire valoir