Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/208

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en quelque sorte, les uns aux autres. Pourquoi le maître de chapelle est-il plus sûr de son orchestre que le directeur de sa troupe ? Parce que là-bas chacun doit rougir de sa faute, dont l’oreille est blessée. Mais qu’il est rare qu’un acteur reconnaisse et sente avec confusion ses fautes, pardonnables et impardonnables, dont l’oreille intérieure est si outrageusement offensée ! Je voudrais que la scène fût aussi étroite que la corde d’un saltimbanque, afin que nul maladroit ne voulût s’y hasarder, tandis que tout le monde se croit assez habile pour y venir parader. »

La société accueillit fort bien cette apostrophe, chacun étant persuadé qu’il ne pouvait être question de lui, puisqu’il venait de se montrer si bien à côté des autres. On convint que, pendant ce voyage et dans la suite, si l’on restait ensemble, on continuerait de travailler en commun, dans le même esprit qu’on avait commencé. On trouva seulement que, la chose étant une affaire de bonne humeur et de libre volonté, le directeur ne devait point s’en mêler. On admit, comme démontré, qu’entre personnes sages la forme républicaine était la meilleure ; on soutint que les fonctions du directeur devaient passer de main en main ; qu’il devait être élu par toute la troupe et assisté d’une sorte de petit sénat. Ils furent si charmés de cette idée, qu’ils voulurent la mettre à exécution sur-le-champ.

«  Je n’ai point d’objection à élever, dit Mélina, s’il vous plaît de faire cette tentative pendant le voyage ; je suspends volontiers mon autorité de directeur, jusqu’à ce que nous soyons arrivés à notre destination. »

Il espérait ainsi faire des économies et rejeter quelques frais sur la petite république ou sur le directeur intérimaire. Alors on discuta très-vivement sur la meilleure forme qu’on pourrait donner au nouvel État.

«  C’est une république nomade, dit Laërtes : du moins n’aurons-nous aucuns débats pour les frontières. »

On réalisa aussitôt le dessein conçu, et Wilhelm fut d’abord élu directeur. On établit le sénat, où les femmes eurent le droit de siéger, avec voix délibérative : on proposa, on rejeta, on approuva des lois. Au milieu de cet amusement, le temps s’écoulait inaperçu, et, parce qu’on le passait d’une manière agréable, on crut avoir fait réellement quelque chose d’utile, et avoir ouvert, par cette forme nouvelle, un nouvel avenir au théâtre national.