Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

DE WILHELM MEISTER. 213

eux, avec des imprécations et des hurlements, leur tira quelques coups de fusil et fit tête à ces braves, le sabre à la main. Nos jeunes héros se défendirent vaillamment ; ils appelaient leurs compagnons, et les exhortaient à se rallier pour la défense commune mais bientôt Wilhelm ne vit plus rien et perdit connaissance étourdi par un coup de feu, qui le blessa entre la poitrine et l’épaule gauche, et par un coup de sabre, qui fendit son chapeau et pénétra presque jusqu’à la cervelle, il tomba, et n’apprit que plus tard la malheureuse issue de cette surprise.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se trouva dans la plus étrange situation. Le premier objet qu’il aperçut, à travers le voile encore étendu sur sa vue, fut le visage de Philine, qui se penchait sur le sien. Il se sentait faible, et, comme il fit un mouvement pour se lever, il se trouva sur le sein de cette jeune fille et il y retomba. Elle était assise sur le gazon ; elle avait doucement appuyé contre sa poitrine la tête du jeune homme étendu devant elle, et lui avait fait, de son mieux, une couche moelleuse dans ses bras. Mignon, les cheveux épars et sanglants, était agenouillée aux pieds de Wilhelm et les embrassait en pleurant. Quand il vit ses habits sanglants, il demanda, d’une voix éteinte, où il se trouvait, ce qui lui était arrivé à lui et aux autres. Philine le pria de rester tranquille ; les autres, dit-elle, étaient tous en sûreté il n’y avait de blessés que lui et Laërtes. Elle n’en voulut pas dire davantage, et pria instamment Wilhelm de vouloir bien rester immobile, parce que ses blessures n’avaient été pansées que fort mal et à la hâte. Il tendit la main à Mignon, et demanda pourquoi ses cheveux étaient sanglants : il la croyait aussi blessée.

Pour le tranquilliser, Philine lui raconta que cette bonne petite, ayant vu son ami blessé et ne sachant que prendre, dans sa précipitation, pour étancher le sang, s’était servie de ses cheveux flottants pour bander les blessures, mais qu’elle avait dû bientôt renoncer à son inutile entreprise. On les avait ensuite pansées avec de l’agaric et de la mousse : Philine avait donné son fichu.

Wilhelm remarqua qu’elle était assise, le dos appuyé contre son coffre, qui paraissait encore bien fermé et intact. Il lui demanda si les autres avaient été, comme elle, assez heureux pour