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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/240

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236 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

légère qui couvre son sein, ne peut cacner les battements de son cœur, et trahit plutôt ces mouvements légers. Son imagination est séduite, sa secrète modestie respire une amoureuse langueur, et, si l’occasion, facile déesse, venait secouer l’arbrisseau, le fruit tomberait à l’instant.

–Mais, dit Aurélie, lorsqu’elle se voit abandonnée, repoussée, dédaignée ; quand l’essor le plus sublime se change, dans l’âme de son amant insensé, en une chute profonde, et qu’au lieu de la coupe délicieuse de l’amour, il lui présente le calice amer de la souffrance.

Son cœur se brise, reprit Wilheim ; tous les appuis de son être sont ébranlés ; la mort de son père éclate comme un coup de tonnerre, et ]e bel édifice s’écroule tout entier. »

Wilhelm n’avait pas remarqué avec quelle expression Aurélie avait prononcé les derniers mots auxquels il venait de répondre. Uniquement occupé de l’œuvre littéraire, de son ensemble et de sa perfection, il ne soupçonnait pas que la sœur de son ami éprouvait de tout autres émotions ; qu’une douleur profonde était vivement excitée chez Aurélie par ces dramatiques images. Jusqu’à ce moment, elle était demeurée la tête appuyée sur ses deux mains, et ses yeux pleins de larmes se tournaient vers le ciel ; enfin, ne pouvant contenir plus longtemps sa douleur secrète, elle prit les deux mains de l’ami, immobile de surprise devant elle.

Pardonnez, lui dit Aurélie, pardonnez a un cœur plein d’angoisse ! La société me gène et m’oppresse ; il faut que je me cache à mon impitoyable frère ; votre présence a brisé tous ces liens. Mon ami, poursuivit-elle, je ne vous connais que depuis une heure, et déjà vous allez être mon confident.

L’émotion lui coupait la voix ; elle se laissa tomber sur l’épaule de Wilhelm.

«-Ne jugez pas mal de moi, dit-elle avec des sanglots, si je m’ouvre d’abord a vous et montre tant de faiblesse soyez mon ami, soyez-le toujours ! Je le mérite. 1>

Wilhelm l’exhortait de la manière la plus tendre soins inutiles Ses larmes coulaient toujours et lui étouffaient la voix. ~n ce moment, Serlo survint, très-mal à propos, et, avec lui, très-soudainement, Philine, qu’il tenait par la main.