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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/259

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DE WILHELM MEISTER. 255

père un journal détaillé, avec toutes les observations géographiques, statistiques et commerciales qu’on lui demandait. Il avait vu beaucoup de choses en voyage ; et il espérait pouvoir en composer un cahier d’une grosseur raisonnable. Il ne songeait pas qu’il se trouvait à peu près dans la même situation que lorsqu’il avait allumé les chandelles et convié les spectateurs pour jouer devant eux une pièce, qui, bien loin d’être apprise, n’était pas même composée. Aussi, lorsqu’il voulut se mettre à l’œuvre, il s’aperçut avec chagrin qu’il pouvait exposer et décrire ses sentiments, ses idées, maintes expériences du cœur et de l’esprit, mais non les objets extérieurs, auxquels, comme il put l’observer alors, il n’avait pas accordé la moindre attention.

Dans cet embarras, la science de son ami Laërtes lui fut d’un grand secours. L’habitude avait lié ces deux jeunes hommes, malgré la différence de leurs caractères, et, avec tous ses défauts, avec ses singularités, Laërtes était, on peut le dire, un homme intéressant. D’une heureuse et saine complexion, il aurait pu vieillir sans y songer, sans réfléchir jamais sur sa position mais son malheur et sa maladie lui avaient ravi la sérénité de la ’jeunesse, et lui avaient fait entrevoir l’instabilité et la fragilité de notre nature. De là une façon capricieuse et décousue de juger les choses, ou plutôt d’en exprimer les impressions immédiates. Il n’aimait pas la solitude ; il fréquentait les cafés, les tables d’hôte, et, s’il restait chez lui, les voyages étaient sa plus chère ou plutôt son unique lecture. Il avait maintenant de quoi. satisfaire son goût, ayant trouvé un loueur de livres richement pourvu, et bientôt la moitié du monde apparut dans son excellente mémoire.

Il lui fut donc facile de rassurer son ami, lorsqu’il vint lui découvrir son dénnment absolu de matériaux pour la relation si solennellement promise.

« Nous allons faire, lui dit-il, un tour de force qui n’aura pas son pareil. Est-ce que l’Allemagne n’a pas été parcourue, traversée, sillonnée, explorée et visitée d’un bout à l’autre ? Et chaque voyageur allemand n’a-t-il pas le magnifique avantage de se faire rembourser par le public ses grandes ou petites dépenses ? Donne-moi seulement ton itinéraire jusqu’au jour où