Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/27

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de mes idées, je racontai le tout à mes camarades, qui en furent tout à fait ravis, mais qui ne pouvaient trop comprendre que tout cela dût être représenté et, qui plus est, représenté par eux.

«  Je levai leurs doutes avec beaucoup de facilité. Je disposai d’une couple de chambres du voisinage, dans la maison d’un camarade, sans réfléchir que sa vieille tante ne consentirait jamais à les prêter ; il en fut de même du théâtre, dont je n’avais non plus aucune idée précise, si ce n’est qu’il fallait l’élever sur des poutres, faire les coulisses avec des paravents, et prendre pour le fond une grande pièce de toile. Mais d’où viendraient les matériaux et le mobilier, c’est à quoi je n’avais pas songé. Pour la forêt, nous trouvâmes un bon expédient : nous priâmes un ancien domestique de l’une des familles, devenu garde forestier, de nous procurer de jeunes bouleaux et des sapins, qui furent apportés en effet, plus tôt que nous ne pouvions l’espérer. Nous fûmes alors très-embarrassés à savoir comment nous pourrions monter la pièce avant que les feuilles fussent sèches. Le cas était difficile : nous n’avions ni salle, ni théâtre, ni rideau ; les paravents étaient tout ce que nous possédions.

Dans cette perplexité, nous eûmes de nouveau recours au lieutenant, à qui nous fîmes une ample description du magnifique spectacle que nous voulions donner. Sans trop nous comprendre, il vint pourtant à notre aide ; il assembla dans une petite chambre tout ce qu’on put trouver de tables dans la maison et dans le voisinage, plaça dessus les paravents, forma, par derrière, une perspective de rideaux verts, et puis les arbres furent rangés à la file.

Cependant la nuit était venue ; on avait allumé les chandelles ; les servantes et les enfants étaient assis à leurs places ; c’était le moment de commencer ; toute la troupe héroïque était en costume : alors, pour la première fois, chacun s’aperçut qu’il ne savait pas ce qu’il avait à dire. Dans la chaleur de l’invention, tout pénétré de mon sujet, j’avais oublié qu’il fallait du moins que chacun sût quand et comment il devait parler, et, dans l’ardeur des préparatifs, les autres n’y avaient pas plus songé que moi : ils croyaient qu’il leur serait facile de se présenter