Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en héros, de parler et d’agir comme les personnages de ce monde où je les avais transportés. Ils demeuraient tous étonnés et se demandaient par quoi l’on devait commencer. Et moi, qui, chargé du rôle de Tancrède, m’étais figuré que je marchais à la tête, j’entrai seul en scène et me mis à débiter quelques vers du poëme. Mais, comme le passage tourna bientôt à la narration ; que je vins à parler de moi à la troisième personne ; que Godefroi, dont il était question, ne voulut pas paraître, je dus aussi me retirer, au milieu des éclats de rire de mes spectateurs : disgrâce qui me blessa jusqu’au fond de l’âme.

L’entreprise était manquée ; les spectateurs restaient sur leurs sièges et voulaient voir quelque chose ; nous étions habillés : je repris courage et résolus tout uniment de jouer David et Goliath. Quelques-uns de mes camarades m’avaient aidé à le jouer avec les marionnettes ; tous l’avaient vu souvent ; on distribua les rôles ; chacun promit de faire de son mieux, et un joyeux petit drôle s’affubla d’une barbe noire, afin de remplir, comme paillasse, par quelque bouffonnerie, les lacunes qui pourraient se présenter : arrangement que j’eus beaucoup de peine à souffrir, comme contraire à la gravité de la pièce. Mais je me promis, quand je serais une fois sorti de cet embarras, de ne m’aventurer jamais, sans les plus grandes réflexions, à représenter une pièce de théâtre. »


Chapitre VIII

Marianne, vaincue par le sommeil, s’appuyait sur son amant, qui la pressait contre son cœur et continuait son récit, tandis que la vieille buvait tranquillement le reste de la bouteille.

« J’oubliai bientôt l’embarras dans lequel je m’étais trouvé avec mes amis, en voulant jouer une pièce qui n’existait pas.