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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/275

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LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE. 271

de tendre, lorsqu’il disait : Ma mère ; en revanche, il aimait passionnément sa vieille bonne, qui lui passait toutes ses volontés.

Mais, depuis quelque temps, elle se trouvait si malade, qu’on avait dû la transporter hors de la maison dans un logement tranquille, et Félix se serait vu tout seul, si Mignon n’était devenue son ange tutélaire. Les deux enfants jouaient ensemble le plus joliment du monde. Elle lui apprenait de petites chansons ; et lui, qui avait une bonne mémoire, il les récitait souvent, a la grande surprise des auditeurs. Elle voulut aussi lui expliquer les cartes géographiques, dont elle était toujours fort occupée ; mais elle ne procédait pas avec la meilleure méthode, et la seule chose qui parût l’intéresser dans les divers pays, était leur température froide ou chaude. Elle savait fort bien rendre compte des pôles du monde, de leurs horribles glaces, et comme la chaleur augmente a mesure qu’on s’en éloigne. Quelqu’un allait-il en voyage, elle demandait uniquement s’il allait au nord ou au midi, et tâchait de trouver le chemin du voyageur sur ses petites cartes. Quand Wilhelm parlait de voyages, son attention était plus vive, et elle semblait toujours chagrine, aussitôt que la conversation changeait de sujet. On ne pouvait la décider à se charger d’un rôle ou même à paraître sur la scène, mais elle apprenait volontiers, et avec zèle, des odes et des chansons, et surprenait tout le monde, lorsqu’elle venait à déclamer soudain quelqu’une de ces poésies, le plus souvent d’un genre sérieux et solennel.

Serlo, qui avait l’habitude d’observer chaque trace d’un talent dans son germe, cherchait à l’encourager ; mais, ce qui lui plaisait surtout chez elle, c’était l’agrément, la variété, et quelquefois même la gaieté de son chant. Le joueur de harpe avait déjà gagné sa faveur par le même moyen.

Sans avoir lui-mcme le génie de la musique, et sans jouer d’aucun instrument, Serlo savait apprécier la haute importance de cet art. Il recherchait aussi souvent que possible cette jouissance, qui ne se peut comparer à aucune autre. Il avait toutes les semaines un concert, et maintenant, avec Mignon, le joueur de harpe et Laërtes, habile sur le violon, il s’était composé chez lui un petit orchestre assez original. Il disait souvent :