Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

DE WILHELM MEISTER. 279

constance de sa vie, personne ne peut lui demander davantage, et tout ce qu’il possède de plus, en lui et hors de lui, capacité, talents, richesses, ne paraît que des accessoires.

« Figure-toi maintenant un bourgeois, qui oserait montrer quelques prétentions à ces avantages il échouerait complétement, et il serait d’autant plus malheureux, que la nature lui aurait donné plus d’aptitude et de penchant pour cette manière d’être.

« Si le gentilhomme ne connaît aucune limite dans la vie ordinaire si l’on peut faire de ses pareils des rois et des princes, il peut se présenter partout devant ses égaux avec une confiance tranquille ; il peut se pousser partout en avant, tandis que rien ne sied mieux au bourgeois que le sentiment juste et secret de la ligne de démarcation qui est tracée devant lui. Il ne doit pas se dire Qui es-tu ? mais seulement Qu’as-tu ? Quelle capacité, quelles connaissances, quels talents, quelle fortune ? Si le gentilhomme a tout donné, quand il a produit sa personne, le bourgeois, en produisant la sienne, ne donne rien et ne doit rien donner. L’un peut et doit paraître, l’autre doit être seulement, et, s’il veut paraître, il est absurde et ridicule. L’un doit agir et influer, l’autre travailler et produire ; il doit développer des facultés isolées pour devenir utile, et c’est une chose d’avance entendue, qu’il ne doit et ne peut exister dans son être aucune harmonie car, pour. se rendre utile d’une certaine façon, il doit négliger tout le reste.

« Cette différence, il ne faut point en accuser l’arrogance des nobles et la condescendance des bourgeois, mais la constitution de la société. De savoir si jamais on changera quelque chose à cela, et ce qu’on y changera, je m’en inquiète peu ; dans l’état actuel des choses, je dois, sans plus, songer à moi et chercher le moyen de me sauver moi-même, et d’obtenir ce qui est pour moi un indispensable besoin.

« Enfin j’aspire avec une inclination irrésistible à cette culture harmonique de mon être que ma naissance me refuse. Depuis que je t’ai quitté, j’ai beaucoup gagné par les exercices de corps ; je me suis défait, en grande partie, de ma gaucherie ordinaire, et je me présente assez bien. J’ai cultivé mon langage et ma voix, et je puis dire, sans vanité, que je ne déplais pas dans le