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DE WILHELM MEISTER. 297

J’ai toujours vu qu’autant il est facile d’ébranler l’imagination des hommes et de leur faire écouter des fables avec plaisir, autant il est rare de trouver chez eux quelque imagination créatrice. Chez les comédiens cela est frappant. Chacun est fort satisfait d’entreprendre un rôle honorable, brillant et beau mais rarement on en fait plus que de se mettre avec complaisance à la place du héros sans s’inquiéter le moins du monde de savoir si personne pourra voir aussi le héros dans son interprète. Mais de saisir vivement la pensée de l’auteur dans son ouvrage ; ce qu’on doit sacrifier de son individualité pour remplir un rôle comment, en se persuadant à soi-même qu’on est un autre homme on peut faire partager au spectateur la même illusion comment, par l’intime vérité du jeu on transforme ces planches en temple, ces toiles en forêt voilà ce qui est donné à peu de monde. Cette force intérieure de l’esprit, qui seule fait prendre le change au spectateur, cette vérité fictive qui seule produit l’effet, seule conduit à l’illusion, qui do ic en a quelque idée ?

« Aussi n’insistons pas trop sur l’esprit et le sentiment le plus sûr est d’expliquer d’abord tranquillement à nos amis le sens de la lettre et de leur ouvrir l’intelligence. Celui qui a des dispositions rencontre ensuite par lui-même l’expression intelligente et pathétique, et celui qui n’en a pas ne jouera pas du moins et ne dira pas complétement faux. Mais je n’ai point vu chez les comédiens, comme chez toute autre personne de plus fâcheuse ambition que de prétendre à l’esprit, avant de posséder clairement et couramment la lettre. »