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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/31

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dans ce même temps, mon esprit ne s’éloignait que trop vivement de tout ce qui me paraissait une occupation basse et vulgaire : c’est à la scène que je voulais consacrer toute mon activité ; c’est là que je voulais chercher mon bonheur et ma joie.

«  Je me souviens encore d’un poëme, qui doit se trouver parmi mes papiers, dans lequel la muse de la poésie tragique et une autre figure de femme, dans laquelle j’avais personnifié l’industrie, se disputent bravement ma noble personne. L’invention est commune, et je ne me souviens pas si les vers valent quelque chose ; mais je vous ferai lire cette pièce, pour juger de la crainte, de l’horreur, de l’amour et de la passion qu’elle fait paraître. Avec quel soin minutieux j’avais dépeint la vieille ménagère, la quenouille à la ceinture, un trousseau de clefs pendant à son côté, les lunettes sur le nez, toujours occupée, toujours inquiète, querelleuse et parcimonieuse, mesquine et importune ! Sous quelles sombres couleurs je présentais la condition de celui qui devait se courber sous sa verge, et gagner chaque jour un servile salaire, à la sueur de son visage !

«  De quel air différent se présentait sa rivale ! Quelle apparition pour le cœur affligé ! Belle, imposante, elle paraissait, dans son aspect et ses manières, la fille de la liberté. Le sentiment de son mérite lui donnait de la dignité sans orgueil ; ses nobles vêtements enveloppaient ses membres sans les gêner, et les larges plis de l’étoffe répétaient, comme un écho multiple, les gracieux mouvements de la déesse. Quel contraste ! Tu peux juger aisément de quel côté mon cœur inclinait. Je n’avais non plus rien oublié pour rendre ma muse reconnaissable ; je lui avais attribué la couronne et le poignard, les chaînes et le masque, tels que mes devanciers me les avaient transmis. La lutte était animée, les discours des deux personnes contrastaient avec force ; car un peintre de quatorze ans aime à faire trancher le blanc sur le noir. L’une parlait comme une personne qui ramasse à terre une épingle, l’autre, comme accoutumée à distribuer les royaumes. Je méprisai les menaçants avis de la vieille ; je détournai mes regards des richesses qui m’étaient promises ; pauvre et déshérité, je m’abandonnai à la muse, qui me jetait son voile d’or et couvrait ma nudité.

«  Si j’avais pu croire, ô ma bien-aimée, s’écria Wilhelm, en