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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/35

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du monde, il n’avait pu en lire aucun jusqu’à la moitié. En revanche, il s’était attaché avec d’autant plus d’ardeur aux modèles, et il s’était essayé lui-même dans tous les genres qui lui étaient connus.

Werner entra, et, observant son ami entouré des cahiers qu’il avait vus souvent, il s’écria :

«  Te voilà encore avec ces écrits ! Je gage que tu ne songes pas à terminer l’un ou l’autre ! Tu les parcours encore et encore, et tu commences peut-être quelque chose de nouveau.

— Achever n’est pas l’affaire de l’écolier : il suffit qu’il s’exerce.

— Mais du moins il va jusqu’au bout aussi bien qu’il peut.

— Et pourtant il est permis de se demander si l’on ne peut concevoir d’aussi bonnes espérances d’un jeune homme qui s’aperçoit bientôt qu’il a fait un essai malheureux, ne poursuit pas son travail, et ne veut prodiguer ni son temps ni sa peine pour des ouvrages qui n’auront jamais de valeur.

— Je n’ignore pas que tu n’as jamais su terminer quelque chose ; tu es toujours fatigué avant d’arriver à moitié chemin. Quand tu dirigeais notre théâtre de marionnettes, que de fois n’as-tu pas fait tailler de nouveaux habits pour nos petits acteurs, fabriquer de nouvelles décorations ! C’était tantôt une tragédie, tantôt une autre, qu’il s’agissait de représenter, et à grand’peine enfin tu donnais le cinquième acte, où les choses se passaient dans un beau désordre et où les gens se poignardaient.

— Puisque tu veux parler de ce temps-là, à qui la faute, si nous faisions enlever les habits adaptés et cousus aux corps de nos poupées, et si nous faisions la dépense d’une infinie et inutile garde-robe ? N’était-ce pas toi qui avais toujours à vendre quelque nouvelle pièce de rubans, et qui savais enflammer et exploiter mon caprice ?

— Fort bien, répondit Werner en riant, je me souviens avec plaisir que je tirais profit de vos campagnes dramatiques, comme les fournisseurs de la guerre. Quand vous prîtes les armes pour la délivrance de Jérusalem, je fis aussi de beaux bénéfices, comme autrefois les Vénitiens. Je ne trouve rien de plus sage au monde que de mettre à contribution les folies d’autrui.