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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/36

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— Je ne sais s’il n’y aurait pas un plus noble plaisir à guérir les hommes de leurs folies.

— Tels que je les connais, ce serait, je crois, une vaine entreprise. C’est déjà, pour un seul homme, une assez grande affaire, de devenir sage et riche en même temps ; et, le plus souvent, il le devient aux dépens des autres.

— Je trouve justement sous ma main, reprit Wilhelm, en tirant un cahier d’entre les autres, le Jeune homme en face des deux chemins : voilà pourtant un travail terminé, quel qu’en soit le mérite !

— Mets cela au rebut, jette-le au feu ! L’invention ne mérite pas le moindre éloge. Cette composition m’a déplu d’abord, et elle t’a valu le mécontentement de ton père. Les vers peuvent être fort jolis, mais la conception est radicalement fausse. Je me souviens encore de ton Industrie personnifiée, ta vieille ratatinée, ta misérable Sibylle. Tu auras sans doute péché cette figure dans quelque pauvre boutique. Tu n’avais alors aucune idée du commerce. Je ne sais personne dont l’esprit soit et doive être plus étendu que celui d’un véritable négociant. Quel coup d’œil ne nous donne pas l’ordre avec lequel nous dirigeons nos affaires ! Il nous permet de saisir constamment l’ensemble, sans que nous soyons forcés de nous égarer dans les détails. Quels avantages ne procure pas au négociant la tenue de livres en partie double ! C’est une des plus belles inventions de l’esprit humain, et tout bon père de famille devrait l’introduire dans son ménage.

— Excuse-moi, dit Wilhelm en souriant, tu commences par la forme, comme si c’était l’affaire : mais, d’ordinaire, avec vos additions et vos bilans, vous oubliez le véritable total de la vie.

— Et toi, par malheur, tu ne vois pas, mon ami, que la forme et le fond sont ici la même chose, et que l’un ne pourrait subsister sans l’autre. L’ordre et la clarté augmentent le goût d’épargner et d’acquérir. Un homme qui gouverne mal ses affaires se trouve fort bien dans l’obscurité ; il n’aime pas à faire le compte de ses dettes. Rien de plus agréable au contraire, pour celui qui est bon économe, que de faire chaque jour la somme de sa fortune croissante. Une perte même, si elle le surprend et l’afflige, ne l’effraye point, parce qu’il sait d’abord quels