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346 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

pour moi une fête. Je portais les entrailles à mon père, et il en discourait avec moi, comme avec un jeune étudiant, et souvent il m’appelait, avec une intime joie, son fils manqué ! J’avais accompli ma douzième année ; j’appris le français, la danse et le dessin, et je reçus l’instruction religieuse ordinaire. Elle éveilla chez moi divers sentiments, diverses pensées, mais rien qui eût trait à mon état. J’aimais à entendre parler de Dieu j’étais fièrc de pouvoir en parler mieux que les enfants de mon âge ; je dévorai plusieurs livres, qui me mirent en mesure de bavarder sur la religion ; mais il ne me venait jamais à l’esprit d’examiner l’état de mon âme, ni si elle ressemblait à un miroir, capable de réfléchir les rayons du soleil éternel cela, je l’avais admis, une fois pour toutes, comme certain.

J’appris le français avec beaucoup d’ardeur. Mon maître était un homme de mérite ; ce n’était pas un frivole routinier ni un aride grammairien il avait de la science ; il avait vu le monde. En même temps qu’il m’enseignait sa langue, il nourrissait de diverses manières mon désir d’apprendre. Je l’aimais tant, que j’attendais son arrivée avec des battements de cœur. Le dessin m’offrait peu de difficultés, et j’aurais été loin, si mon maître avait eu de la tête et du savoir ; mais il n’avait que des mains et de la routine.

La danse me fit d’abord moins de plaisir que tout le reste mon corps était trop délicat, et je n’avais pour la leçon d’autre compagnie que ma sœur mais, notre maître ayant eu l’idée de donner un bal à tous ses écoliers et écolières, je pris un goût beaucoup plus vif pour cet exercice.

Parmi les nombreux danseurs, on remarqua deux fils du maréchal de la cour ; le cadet était de mon lige, l’aîné avait deux ans de plus. Ces enfants étaient, de l’aveu général, d’une beauté incomparable. A peine les eus-je aperçus, que nul autre ne fixa mon attention dans la foule. A l’instant même, je dansai avec attention et je désirai danser bien. Je ne sais comment il se fit que ces deux petits garçons me distinguèrent aussi parmi toutes les autres ; bref, dès la première heure, nous fûmes les meilleurs amis du monde, et la petite fête n’était pas finie, que nous étions déjà convenus du lieu où nous pourrions nous revoir bientôt. Quelle joie pour moi Mais, le lendemain, je fus tout a fait ravie,