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DE WILHELM MRISTER. 3/j.7

quand je reçus de chacun des deux frères un bouquet, accompagné d’un billet galant, où ils s’informaient de ma santé. Ce que je sentis alors, je ne l’ai plus senti de ma vie. Ce ne fut plus dès lors qu’un échange de billets et de galanteries. L’église et les promenades étaient nos lieux de rendez-vous ; déjà nos jeunes amis nous invitaient toujours ensemble, mais nous étions assez fins pour tenir la chose secrète, au point de n’en pas laisser voir a nos parents plus qu’il ne nous semblait à propos.

J’avais donc trouvé deux amoureux à la fois. Je n’étais décidée pour aucun ; ils me plaisaient tous les deux, et nous étions au mieux ensemble. Tout à coup l’aîné tomba gravement malade ; je l’avais été moi-même fort souvent, et je sus l’amuser, en lui faisant porter maintes bagatelles et les friandises que l’on permet à un malade, si bien que ses parents furent touchés de mes attentions, et, sur la prière de leur enfant chéri, m’invitèrent, avec mes sœurs, à venir le voir, aussitôt qu’il eut quitté le lit. La tendresse avec laquelle il me reçut n’était pas celle d’un enfant, et, dès ce jour, je fus décidée pour lui. Il m’avertit d’abord de ne rien laisser voir a son frère ; mais la flamme ne pouvait plus se cacher, et la jalousie du cadet compléta le roman. Il nous jouait mille tours malins ; il se faisait un plaisir de troubler notre joie, et par là il augmentait la passion qu’il cherchait à troubler.

J’avais donc trouvé cette fois l’agneau désiré, et cette passion, comme auparavant la maladie, eut pour effet de me rendre silencieuse et de m’éloigner des plaisirs bruyants. J’étais émue et solitaire et je revins a Dieu il demeura mon confident, et je sais bien avec quelles larmes je le priais sans cesse pour mon jeune ami, dont la santé était toujours chancelante.

Il y avait dans cette affaire de l’enfantillage, mais cela n’en contribua pas moins a me former le cœur. Nous devions écrire chaque jour à notre maître de français des lettres de notre composition, au lieu des traductions que nous faisions auparavant. Je mis mon histoire d’amour sous les noms de Damon et Philis. Mon maître devina bientôt la vérité, et, pour me rendre sincère~ il donna de grands éloges à mon travail. Je m’enhardis toujours davantage je parlai à cœur ouvert, et restai fidèle à la vérité