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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/355

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DE WILHELM MEISTER. 351

"’T" 1-

il n ignorait aucun ouvrage nouveau, surtout de ceux qui paraissaient en France. Il m’apportait ou m’envoyait quelquefois des livres utiles et agréables ; mais il fallait tenir la chose plus secrète qu’une intrigue d’amour on avait rendu ridicules les femmes savantes, et l’on ne pouvait même souffrir les femmes instruites, apparemment parce qu’on trouvait malhonnête que tant d’hommes ignorants fussent exposés à rougir. Mon père lui-même, qui était charmé que j’eusse trouvé cette nouvelle occasion de cultiver mon esprit, exigea expressément que ce commerce littéraire demeurât un secret.

Notre liaison avait duré presque une année, et je ne puis dire que Narcisse m’eût témoigné d’aucune manière de l’amour ou de la tendresse. Il était toujours aimable et obligeant, mais il ne montrait aucune passion bien plus, les charmes de ma sœur cadette, qui était alors d’une beauté extraordinaire, semblaient ne pas le laisser indifférent. Il lui donnait, par manière de badinage, toute sorte de noms affectueux, empruntés aux langues étrangères, dont il parlait fort bien plusieurs, et dont il mêlait volontiers, dans la conversation, les expressions originales. Elle ne répondait guère à ses prévenances ; elle était prise dans un autre filet, et, comme elle était prompte et susceptible, ils avaient souvent des débats sur quelques bagatelles. Narcisse savait fort bien se conduire avec notre mère et nos tantes, et il était devenu peu à peu un membre de la famille. Qui sait combien de temps encore nous aurions ainsi vécu, si un singulier accident n’avait pas tout à coup changé nos rapports Je fus invitée avec mes sœurs dans une maison où je n’allais pas volontiers. La société était trop môlëe, et il s’y trouvait souvent des personnes, sinon fort grossières, du moins fort stupides. Ce jour-là, Narcisse était aussi invité, et, à cause de lui, je résolus de m’y rendre j’étais sûre de trouver au moins une conversation agréable. A table même, nous eûmes déjà plus d’une chose a sounrir quelques hommes avaient trop bu. Après dîner on joua aux petits jeux. Les choses se passèrent d’une manière fort bruyante et fort vive. Narcisse avait un gage a retirer on lui ordonna de dire à l’oreille quelque chose d’aimable à chaque personne de la société. 11 s’arrêta un peu longtemps auprès de ma voisine, femme d’un capitaine, qui tout à coup lui donna un