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DE -WILHELM MEISTER. 355

monde. Avant tout, il se ut conduire chez nous, la tête et la main encore bandées. Comme le cœur me battait à cette visite ! Toute la famille était présente ; on s’en tint de part et d’autre aux termes généraux de la politesse et de la reconnaissance ; cependant Narcisse trouva l’occasion de me donner quelques marques secrètes de sa tendresse, qui n’augmentèrent que trop mon inquiétude. Lorsqu’il fut entièrement guéri, il fréquenta notre maison, tout l’hiver, sur le même pied qu’auparavant, et tout en me donnant mille preuves délicates de son amour, il évita une explication positive.

Cette conduite me tenait dans une inquiétude perpétualle. Je ne pouvais, me confier à personne au monde, et j’étais trop éloignée de Dieu. Je l’avais complétement oublié, pendant quatre ans de dissipations maintenant je pensais à lui de temps a autre, mais notre commerce était refroidi ; je ne lui faisais que des visites de cérémonie, et, comme je ne paraissais jamais devant lui que dans mes plus beaux habits ; que j’étalais devant lui, avec satisfaction, ma vertu, mon honnêteté et les avantages que je croyais posséder par-dessus les autres jeunes filles, il semblait ne pas prendre garde à moi, sous mes riches atours. Un courtisan qui se verrait ainsi traité par son prince, dont il attend sa fortune, serait fort alarmé. Pour moi, je n’éprouvais, dans cette situation, aucune inquiétude. J’avais ce qu’il me fallait, savoir la santé et la fortune Dieu voulait-il agréer mon hommage, c’était pour le mieux ; ne le voulait-il pas, je croyais du moins m’être acquittée de mon devoir. Sans doute je ne jugeais pas alors ainsi de moi, cependant c’était le véritable état de mon âme ; mais il se préparait dès lors des circonstances qui devaient épurer et changer mes sentiments.

Un jour de printemps, comme j’étais seule à la maison, Narcisse parut à l’improviste. Il me déclara son amour et me demanda si je voulais lui donner mon cœur, et si je consentirais plus tard à lui donner ma main, dès qu’il aurait obtenu un emploi honorable et avantageux. Notre prince l’avait admis au service du pays ; mais, comme on redoutait son ambition, on le retenait d’abord dans les rangs inférieurs, plutôt que de l’élever promptement ; et, comme il avait du bien, on le laissait réduit a un modique traitement.