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DE WILHELM MEISTER. 367

classes intérieures, ces sentiments étaient généralement répandus.

La famille du comte, dont j’ai parlé plus haut, me rechercha avec plus d’empressement. Elle s’était augmentée dans l’intervalle, plusieurs de ses membres étant venus séjourner dans la ville. Ces estimables personnes recherchèrent ma société, comme je recherchai la leur. Ils avaient d’illustres alliances, et j’appris à connaître dans cette maison beaucoup de princes, de comtes et de seigneurs de l’Empire. Mes sentiments n’étaient un secret pour personne, et, que l’on voulût bien les honorer ou seulement les épargner, j’atteignais mon but et je restais en repos.

Cependant je devais être ramenée dans le monde par un autre chemin. Vers ce même temps, un frère consanguin de mon père, qui jusqu’alors ne nous avait fait que des visites passagères, séjourna chez nous plus longtemps. Il avait quitté, uniquement parce que tout n’allait pas selon ses vues, le service de son prince, auprès duquel il était en honneur et en crédit. Il avait l’esprit juste et le caractère rigide en cela fort semblable a mon père mais mon père avait néanmoins une certaine mesure de souplesse qui lui permettait de céder dans les affaires, et, sans agir lui-même contre sa conviction de laisser agir après quoi il dévorait son chagrin en silence, ou l’épanchait dans le sein de sa famille. Mon oncle était beaucoup plus jeune et l’état de sa fortune ne contribuait pas médiocrement à fortifier son humeur indépendante. Sa mère lui avait laissé de grands biens, et il pouvait en attendre beaucoup encore de parents proches et éloignés il n’avait besoin d’aucune ressource étrangère, tandis que mon père, qui n’avait qu’une modique fortune était enchaîné à son emploi par le traitement. Mon oncle était devenu plus inflexible encore par ses malheurs domestiques. Il avait perdu de bonne heure une aimable femme et un fils qui donnait les plus belles espérances, et dès lors il parut vouloir éloigner de lui tout ce qui ne dépendait, pas de sa volonté.

On se disait parfois a l’oreille dans la famille, avec une cer. taine satisfaction, que vraisemblablement il ne se remarierait pas, et que nous -pouvions, nous autres enfants, nous regarder comme héritiers de sa grande fortune. Cela ne faisait aucune