368 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE
impression sur moi, mais la conduite de mes alentours s’accordait assez bien avec ces espérances.
Avec la fermeté de son caractère mon oncle avait pris l’habitude de ne jamais contredire personne dans la conversation, mais plutôt d’écouter avec bienveillance l’opinion de tout le monde, et d’appuyer même, par des arguments et des exemples, l’avis de chacun sur le sujet en question. Qui ne le connaissait pas croyait toujours l’avoir de son côté, car il avait un esprit supérieur et il pouvait se placer à tous les points de vue. Il ne fut pas aussi heureux avec moi, parce qu’il s’agissait de sentiments dont il n’avait absolument aucune idée, et, avec tous les ménagements, toute la sympathie et la raison qu’il faisait paraître, quand il me parlait de mes convictions, je fus cependant fort surprise qu’il n’eût évidemment aucune idée de la base sur laquelle s’appuyait toute ma conduite.
Si réservé qu’il fût, le but de son séjour inaccoutumé dans notre maison se découvrit au bout de quelque temps. On put remarquer enfin qu’il avait jeté les yeux sur notre plus jeune sœur, pour la marier à son gré et faire sa fortune. Assurément, avec son esprit et sa beauté, surtout si elle pouvait mettre encore sur le plateau de la balance un bien considérable, elle avait droit de prétendre aux premiers partis. Il montra de même, d’une manière effective, ses dispositions en ma faveur, en me faisant obtenir une place de chanoinesse, dont je touchai bientôt les revenus.
Ma sœur était moins satisfaite de son lot et moins reconnaissante. Elle me lit l’aveu d’une affaire de cœur qu’elle avait jusqu’alors très-prudemment tenue secrète, car elle se doutait bien que je lui déconseillerais de toutes mes forces comme je le fis en effet, de s’attacher à un homme qui n’aurait jamais dû lui plaire. Je n’épargnai aucune peine et je réussis. Les vues de notre oncle étaient trop sérieuses et trop claires et la perspective offerte à ma sœur trop séduisante à son point de vue mondain, pour ne pas lui donner la force de renoncer à une inclination que sa raison même condamnait.
Quand notre oncle vit qu’elle ne se dérobait plus comme auparavant à sa bienveillante direction, son plan fut bientôt formé. Elle devint dame d’honneur dans une cour voisine où il pouvait