DE WILHELM MEISTER. 371
Je puis le dire, je ne revins jamais le cœur vide, après avoir cherché Dieu, au milieu de l’angoisse et de la souffrance. C’est en dire infiniment, mais je ne saurais et je ne dois pas m’expliquer davantage. Autant chaque expérience était importante pour moi dans le moment critique, autant mes paroles seraient faibles, insignifiantes, invraisemblables, quand je voudrais citer des cas particuliers. Combien j’étais heureuse que mille petits événements à la fois me prouvassent, aussi certainement que la respiration est pour moi la preuve de la vie, que je ne suis pas sans Dieu dans le monde ! Il était près de moi ; j’étais devant lui c’est ce que je puis dire avec la plus grande vérité, en m’attachant à éviter le langage systématique des théologiens. Que je voudrais aussi avoir été alors étrangère à tout système ! Mais qui donc réussit de bonne heure à se posséder soi-même dans une pure harmonie, sans mélange de formes étrangères ? Je prenais au sérieux mon salut ; je me fiais modestement à l’autorité d’autrui ; je m’attachai tout entière au système de Halle’, et mes dispositions naturelles ne voulaient nullement s’en accommoder.
Selon ce système, le changement du cœur doit commencer par une profonde horreur du péché ; dans cette détresse, le cœur doit reconnaître, tantôt plus, tantôt moins, la peine qu’il a méritée, etressentirl’avant-goûtde l’enfer, qui empoisonne les jouissances du péché. Enfin l’on doit éprouver une très-sensible assurance de la grâce, mais qui, dans la suite, se dérobe souvent, et doit être de nouveau recherchée avec ardeur.
Rien de pareil chez moi d’aucune façon. Quand je cherchais Dieu sincèrement, il se laissait trouver, et ne me reprochait nullement le passé. Je voyais bien derrière moi où j’avais été coupable, et savais aussi où je l’étais encore ; mais l’aveu de mes fautes était sans angoisse. Je n’ai pas senti un seul instant la peur de l’enfer ; l’idée même du malin esprit et d’un lieu de supplices et de tourments après la mort ne pouvait entrer dans ma pensée. Je trouvais déjà si malheureux les hommes qui vivaient sans Dieu, dont le cœur était fermé à l’amour et à la 1. L’Université de Halle, où le célèbre Francke enseigna la théologie. Ce sont les idées de Francke que l’on a ici en vue.