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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/384

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380 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

que pour apprendre à connaître un phénomène psychologique. Je tenais trop le comte’ pour un hérétique endurci ; je laissais de même chez moi, sans les ouvrir, les cantiques d’Ebersdorf 2, que, dans les mêmes vues, mon ami m’avait en quelque sorte obligée de prendre.

Dans mon dénûment absolu de tous moyens extérieurs d’édification, j’ouvris, comme par hasard, ce livre de cantiques, et, à ma grande surprise, j’y trouvai des hymnes, qui, au milieu de formes d’ailleurs très-singulières, semblaient se rapporter à ce que j’éprouvais l’originalité et la naïveté de l’expression m’attiraient. C’étaient des impressions individuelles rendues d’une manière individuelle ; nuls termes d’école ne rappelaient quelque chose de guindé ou de vulgaire. Je fus persuadée que ces gens sentaient ce que je sentais moi-même, et je me trouvai très-heureuse de retenir ces vers dans ma mémoire et de les répéter en moi-même pendant quelques jours.

Dès le moment où la vérité m’avait été communiquée, il s’écoula de la sorte environ trois mois. Enfin je pris la résolution de tout découvrir a mon ami Philon et de lui demander ces livres, dont j’étais devenue extrêmement avide. Je fis cet aveu, et pourtant quelque chose au fond du cœur me le déconseillait sérieusement.

Je rapportai avec détail à Philon toute l’anaire, et, comme il y jouait un rôle essentiel, comme mon récit renfermait aussi pour lui la plus sévère exhortation à la pénitence, il fut saisi et touché au plus haut point il fondit en larmes. Je m’applaudissais, et croyais qu’il se fût aussi opéré chez lui une conversion complète.

Il me fournit tous les ouvrages que je désirais, et j’eus pour mon imagination une nourriture surabondante. Je fis de grands progrès dans la langue et la doctrine de Zinzendorf. Qu’on ne croie pas que je ne sache point apprécier, même aujourd’hui, le caractère du comte : je lui rends justice volontiers ; ce n’est point un vain enthousiaste il parle, le plus souvent, des grandes

1. C’est toujours de Zinzendorf qu’il s’agit. On le verra encore désigné plus bas par son titre seulement.

2. Ebersdorf, communauté morave, dans la principauté de Re~ss-Lobenstein..