Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/386

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

382 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

Le nouveau venu fut présenté, comme en triomphe, a toutes les brebis particulièrement chéries du premier pasteur. Notre maison fut la seule où il ne fut pas introduit, parce que mon père ne voyait plus personne. Le gentilhomme fut très-goûté il avait la politesse de la cour et les manières engageantes de la communauté ; avec cela, beaucoup de belles qualités naturelles, et il fut bientôt le grand saint de tous ceux qui firent sa connaissance. Son conducteur spirituel en éprouvait une extrême joie. Malheureusement, le gentilhomme n’était brouillé avec la communauté que sur des questions de forme, et, dans le cœur, il était toujours morave, attaché réellement au corps de la doctrine et même les futilités que le comte y avait ajoutées lui convenaient parfaitement. Il était désormais accoutumé à cette forme d’exposition, à ces façons de parler ; et, s’il devait dissimuler soigneusement en présence de son ancien ami, aussitôt qu’il se voyait entouré d’un petit cercle intime, il éprouvait d’autant plus le besoin de produire ses chants naïfs, ses litanies et ses petites images, et il trouvait, comme on peut le croire, une grande approbation.

Je ne savais rien de tout cela, et je continuais de rêver à ma façon. Nous fûmes longtemps sans nous connaître.

Un jour, je profitai d’une heure de loisir pour faire une visite à une amie malade. Je trouvai chez elle plusieurs connaissances, et je m’aperçus bientôt que j’avais troublé une conversation. Je n’en laissai rien paraître ; mais, à ma grande surprise, je vis suspendus aux murs de la chambre quelques tableaux moraves soigneusement encadrés~. Je devinai bientôt ce qui avait pu se passer avant mon arrivée, et je saluai cette nouvelle apparition par quelques vers qui s’y rapportaient. Que l’on se figure la surprise de mes amis ! On s’expliqua et l’on s’entendit sur-le-champ.

Dès lors je cherchai plus souvent l’occasion de sortir. A mon vif regret, je ne la trouvais guère qu’une fois en trois ou quatre semaines. Je fis connaissance avec le noble apôtre, et peu à peu avec toute la secrète communauté. Je fréquentais, quand 1. Les Moraves, sans rendre aucun culte aux images, en font usage dans leurs pratiques religieuses.