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392 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE E

turelle qui, renfermé comme la bibliothèque dans des armoires vitrées décorait les murs de la salle, et, sans rétrécir le local, lui donnait un noble caractère. Là je me souvins avec joie de mon enfance et je ils remarquer à mon père plusieurs objets qu’il avait apportés au chevet du lit de son enfant malade, qui entrait à peine dans la vie. Au reste le médecin ne cacha nullement, dans cet entretien, non plus que dans ceux qui suivirent, que ses sentiments religieux se rapprochaient des miens à cette occasion, il fit un magnifique éloge de mon oncle, pour sa tolérance et pour l’estime qu’il faisait de tout ce qui annonce et favorise la dignité et l’unité de la nature humaine, ne demandant à tous les autres hommes que la pareille, et condamnant et fuyant, plus que tout au monde, les vanités individuelles, les vues étroites et exclusives.

Depuis le mariage de ma sœur, on voyait briller la joie dans les yeux de mon oncle, et il me parla plusieurs fois de ce qu’il songeait à faire pour elle et pour ses enfants. Il avait de belles terres, qu’il administrait lui-même, et qu’il espérait transmettre à ses neveux dans le meilleur état. Quant au petit domaine où il nous avait reçus, il semblait nourrir une pensée particulière. Je ne veux le léguer, disait-il, qu’à une personne qui sache comprendre, apprécier et goûter ce qu’il renferme, et qui soit convaincue qu’en Allemagne surtout, il importe qu’un riche, un grand, forme des collections, qui puissent servir de modèles. n La plupart des hôtes s’étaient insensiblement dispersés ; nous nous disposions à partir, et nous pensions n’avoir plus de fêtes à espérer, quand notre oncle sut nous causer a la fois une vive surprise et un noble plaisir. Nous n’avions pu lui taire notre ravissement, le jour du mariage de ma sœur, quand un chœur de voix se fit entendre sans aucun accompagnement. Nous lui fîmes comprendre assez clairement notre vœu de goûter encore une fois ce plaisir. Il parut ne pas y prendre garde. Quelle ne fut donc pas notre surprise, lorsqu’un soir il nous dit « L’orchestre de bal est parti ; nos jeunes amis ont pris la volée ; les époux eux-mêmes semblent déjà plus sérieux dans un pareil moment, nous séparer, peut-être pour ne jamais nous revoir, jamais du moins de la même manière, éveille en nous une disposition solennelle, à laquelle je ne puis ourir une plus