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DE WILHELM MEISTER. 395

pas iort neureuse avec son mari nous dûmes en faire un secret à notre père. Il fallut m’ériger en arbitre, et je le pouvais d’autant mieux que mon beau-frère avait confiance en moi. Au fond ils étaient bons l’un et l’autre ; seulement, au lieu de se faire des concessions mutuelles, ils disputaient, et, par le désir de vivre dans un parfait accord, ils ne pouvaient jamais s’entendre. J’appris alors à m’occuper sérieusement des choses de la terre, et à pratiquer ce que je m’étais jusque-là bornée à chanter. Ma sœur accoucha d’un garçon les souffrances de mon père ne l’empêchèrent pas de se rendre auprès d’elle. A la vue de l’enfant, sa joie fut inexprimable. Pendant le baptême, il me parut sortir de son état ordinaire ; il était comme inspiré on eût dit un génie à deux visages, l’un tourné avec joie vers les régions dans lesquelles il espérait entrer bientôt, l’autre vers la vie terrestre, nouvelle et pleine d’espérance, éclose dans l’enfant qui descendait de lui. Pendant le retour, il ne se lassait point de me parler de l’enfant, de sa figure, de sa santé, du désir qu’il avait que les facultés de ce nouveau citoyen du monde fussent heureusement cultivées. Il ne tarit pas là-dessus jusqu’à notre arrivée, et ce fut seulement au bout de quelques jours, que l’on remarqua chez lui un mouvement de fièvre, qui se manifesta après dîner, sans frisson, par un peu de chaleur et d’accablement. Cependant il ne garda point le lit, il sortit dans la matinée, remplit exactement les devoirs de sa charge, jusqu’à ce qu’enfin des symptômes sérieux, persistants, vinrent l’arrêter. Je n’oublierai jamais le repos d’esprit, la clarté, la lucidité, avec lesquels il régla, dans le plus grand ordre, les affaires de sa maison et les soins de sa sépulture, comme il aurait fait pour un autre. Il me disait, avec une sérénité qui ne lui était pas ordinaire, et qui s’éleva jusqu’à une vive joie

» Qu’est devenue la crainte de la mort, que j’ai autrefois sentie ? Pourquoi aurais-je peur de mourir ? J’ai un Dieu clément le tombeau ne me cause aucun effroi j’entre dans la vie éternelle. »

Repasser dans ma mémoire les circonstances de sa mort, qui ne tarda guère, est dans ma solitude un de mes plus doux entretiens nul raisonnement ne m’empêchera d’y reconnaître les effets visibles d’une puissance suprême.