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436 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

de temps, tout fut organisé. Pour monter plus aisément à cheval, et pour n’être gênée nulle part quand je serais à pied je portai des habits d’homme. J’étais dans beaucoup de lieux à la fois et l’on me craignait partout.

« J’appris que Lothaire et ses jeunes amis avaient arrangé une partie de chasse. Pour la première fois de ma vie, l’idée me vint de paraître, ou, pour ne pas me faire tort, d’être aux yeux de cet homme distingué ce que j’étais en effet. Je pris mes habits d’homme, et, un fusil sur l’épaule, je sortis avec notre chasseur, pour attendre la compagnie sur nos limites. Elle parut Lothaire ne me reconnut pas d’abord un des neveux de ma bienfaitrice me présenta à lui comme un homme versé dans la science forestière. Il plaisarita sur ma jeunesse, et continua de faire mon éloge, jusqu’à ce qu’enfin Lothaire me reconnut. Le neveu seconda mes vues, comme si nous eussions été d’accord ensemble ; il raconta, avec détail, et en exprimant sa reconnaissance, ce que j’avais fait pour les domaines de sa tante et, par conséquent, pour lui-même.

« Lothaire l’écouta attentivement ; il s’entretint avec moi, me lit des questions sur tout ce qui avait rapport aux domaines, et je fus heureuse de pouvoir étaler devant lui mes connaissances. Je soutins fort bien cet examen. Je lui soumis quelques projets d’améliorations ; il les approuva, me cita des exemples pareils, et fortifia mes raisons par l’enchaînement qu’il leur donna. J’étais toujours plus satisfaite ; mais heureusement toute mon envie était d’être connue, et je ne désirais pas d’être aimée car, lorsque nous revînmes à la maison, je remarquai, plus qu’auparavant, que ses attentions pour Lydie semblaient trahir une inclination secrète. J’avais atteint mon but, et pourtant je n’étais pas tranquille. Dès ce jour, Lothaire me témoigna une véritable estime et une noble confiance. Quand la société était réunie, c’était d’ordinaire avec moi qu’il s’entretenait ; il me demandait mes avis, et il me montrait, surtout pour les affaires de ménage, une aussi grande confiance que si je n’avais rien ignoré. Ses encouragements me donnèrent une ardeur extraordinaire. Il voulait savoir mon opinion, même dans les questions d’économie générale et de finances et, en son absence, je cherchais à étendre mes connaissances sur la province et même le