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442 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

elle aurait eu peut-être le courage de souffrir une liaison pareille, pourvu que l’ordre intérieur de la maison n’en fût pas troublé ; du moins elle disait souvent qu’une femme qui gouverne bien son ménage peut passer a son mari tous ces petits caprices, et compter qu’il lui reviendra toujours.

La mère de Thérèse eut bientôt dérangé sa fortune, et sa fille en souffrit, car elle en reçut peu de secours. La vieille dame mourut, et lui légua le petit domaine et un joli capital. Thérèse sut d’abord s’accommoder à sa modeste situation. Lothaire lui offrit, par l’entremise de Jarno, une propriété de plus grande valeur elle la refusa.

« Je veux, dit-elle, montrer, dans cette petite administration, que j’étais digne de partager la grande avec lui. Mais si, par l’effet des circonstances, je me trouve dans l’embarras pour moi ou pour les miens, je me propose de recourir tout d’abord, et sans scrupule, à mon noble ami.

Rien ne reste moins caché et sans emploi qu’une sage activité. A peine Thérèse se fut-elle établie dans son petit bien, que les gens d’alentour recherchèrent sa connaissance et ses avis ; et le nouveau propriétaire du domaine voisin lui lit entendre assez clairement qu’il ne tenait qu’à elle de recevoir sa main et la plus grande partie de son héritage. Elle avait rapporté ce détail à Wilhelm, et plaisantait quelquefois avec lui sur les mariages bien ou mal assortis.

<~ Rien ne fait tant causer le monde, disait-elle, que la nouvelle d’un mariage, qu’à sa manière de voir il peut nommer un mariage mal assorti et pourtant ceux de cette espèce sont beaucoup plus fréquents que les autres ; car, hélas ! au bout de peu de temps, la plupart des ménages vont assez mal. Le mélange des conditions dans les mariages ne mérite le nom de mésalliance qu’autant qu’un des époux ne peut adopter la manière de vivre naturelle, accoutumée, et comme nécessaire, de l’autre. Les différentes classes de la société ont des genres de vie différents, qui ne se peuvent ni partager ni confondre, et c’est pourquoi il vaut mieux éviter ces alliances ; mais il peut y avoir des exceptions et de très-heureuses. Il en est de même des mariages de jeunes filles et d’hommes âgés en général ils sont malheureux, et pourtant j’en ai vu qui ont fort bien tourné.