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446 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

sion pénible, et ce fut pour ma vanité un faible dédommagement d’apercevoir, à ce qu’il me sembla, un assez vif incarnat sur son cou et ses oreilles, tandis qu’elle s’enfuyait.

Je m’arrêtai à causer avec le père, et je lorgnais les fenêtres, espérant qu’elle se montrerait ici’ou là, mais je ne pus l’apercevoir. Je ne voulus pas non plus demander de ses nouvelles, et je passai mon chemin. Mon chagrin était un peu adouci par l’admiration en effet, bien que j’eusse à peine entrevu son visage, elle ne me parut presque pas changée, et pourtant dix années sont longues ! Même elle me parut plus jeune, aussi svelte, sa démarche aussi légère, le cou plus gracieux encore, les joues aussi aisément colorées d’une aimable rougeur. Avec cela, mère de six enfants peut-être ! Cette apparition cadrajt si bien avec tout ce monde magique dont j’étais entouré, que je poursuivis toujours plus agréablement ma promenade, avec les sensations de ma jeunesse, et ne tournai bride qu’à l’entrée de la forêt prochaine, au coucher du soleil. Si vivement que la rosée, qui tombait, me rappelât les avis du médecin, et quoiqu’il eût été plus sage de retourner chez moi par le plus court chemin, je repris celui de la ferme. J’aperçus une femme qui allait et venait dans le jardin, fermé par une haie légère. Je m’approchai par le sentier, et je me trouvai assez près de la personne qui m’attirait.

Bien que le soleil couchant me donnât dans les yeux, je vis qu’elle était occupée auprès de la haie, qui ne la couvrait que légèrement. Je crus reconnaître mon ancienne amante. Quand je fus près d’elle, je m’arrêtai, et sentais battre mon cœur. Quelques branches d’églantier, balancées par un léger vent, m’empêchaient de distinguer nettement sa tournure. Je lui adressai la parole et lui demandai comment elle se portait.

Fort bien, z me répondit-elle à demi-voix.

Cependant je remarquai, derrière la haie, un enfant occupé à cueillir des fleurs, et j’en pris occasion de lui demander où donc étaient ses autres enfants.

Ce n’est pas mon enfant, répondit-elle. Ce serait un peu ce vite.

« A ce moment, elle se plaça de manière que je pus voir distinctement son visage à travers les rameaux, et je ne sus que